Le musicien anglais et le cinéaste mauritanien ont imaginé un opéra pour raconter l’histoire de l’Empire mandingue à travers un fétiche, le boli, qui fait le lien entre Afrique et Occident. Au Théâtre du Châtelet, Le Vol du boli puise dans le passé la force d’imaginer un futur fondé sur la circulation et le partage. Rencontre avec ses deux créateurs.
Lorsque le Théâtre du Châtelet propose en 2018 à Damon Albarn de créer un opéra africain du XXIe siècle, ce dernier est déjà un habitué des lieux. Il y a créé deux opéras pop, Monkey, Journey to the West à partir d’une légende chinoise en 2007 et Wonder.land, nourri d’Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, en 2016.
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La proposition ne pouvait que séduire le musicien, attiré par ce continent depuis l’enfance : “Quand j’avais 9 ans, j’ai eu un album de l’Unesco avec des chants de tous les pays d’Afrique, nous confie le musicien. Ma première visite au Mali remonte à vingt ans, et j’y suis retourné quatre fois, puis en Algérie et au Maroc, au Congo, au Kenya, en Guinée et en Afrique du Sud.”
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Au départ, le musicien voulait s’inspirer de l’épopée de Soundjata, relatant la création de l’empire mandingue au XIIIe siècle. Mais, surtout, il n’envisage pas une seconde de créer à lui seul un opéra africain : “Ça aurait été répéter l’erreur qui remonte aux origines du colonialisme. C’était une évidence pour moi de m’allier avec un Africain et, avec Ruth Mackenzie (ex-directrice artistique du Théâtre du Châtelet – ndlr), nous avons très vite pensé à Abderrahmane Sissako.”
Deux années de workshops en Afrique, en Angleterre et en France
Lors de leur première rencontre, le cinéaste se souvient leur avoir dit : « Je ne sais absolument pas ce que je vais faire, mais j’aimerais que Sambasso, le vigile du théâtre, soit sur cette scène. C’est important que sur la scène du Châtelet il y ait cette Afrique-là aussi, et pas seulement dans les coulisses.”
Une autre scène s’impose à lui lors de cette rencontre, liée à un souvenir de son père. “C’était bien avant les Indépendances. Mon père était dans l’aviation et se trouvait dans la cour d’un militaire français à Gao, au nord du Mali, lorsque son boy est tombé en transe et s’est mis à réciter une émission de la BBC en anglais. Je l’ai tout de suite interprété comme le traumatisme de quelqu’un, d’un peuple aussi, qui, dans le parcours de son histoire, a été happé par l’autre dans sa conquête de la richesse.”
Après deux années de workshops en Afrique, en Angleterre et en France, l’équipe au complet entame son premier jour de répétitions au Châtelet lorsque nous les rencontrons. Sur le plateau, les trente interprètes – comédien·nes, chanteur·euses, danseur·euses et musicien·nes – répètent la scène de la royauté au début du spectacle. On leur demande comment s’est imposée l’histoire du vol du boli, ce fétiche rapporté en 1931 par Michel Leiris, auteur de L’Afrique fantôme, lors d’une expédition en Afrique et ce qu’il représente pour eux.
Pour Damon Albarn, « le boli, c’est l’imagination. Je suis très sensible à l’aspect ésotérique de la culture africaine, à travers les rythmes, la musique. Abderrahmane a une vision plus contemporaine et politique. On s’intéresse tous deux aux frictions entre le monde africain et le monde occidental. Au début du projet, le mouvement Black Lives Matter n’était pas d’une actualité aussi brûlante, et ça rend le sujet encore plus explosif à traiter, avec une grande responsabilité.”
“Le Vol du boli’, c’est aussi le vol de l’identité et de l’âme de quelqu’un. C’est un processus de dépossession” Abderrahmane Sissako
C’est en parlant avec Charles Castella, son colibrettiste, de la restitution des objets d’art volés en Afrique, qu’Abderrahmane Sissako se souvient de l’exposition du musée du quai Branly autour de Michel Leiris. “Le Vol du boli, c’est aussi le vol de l’identité et de l’âme de quelqu’un. C’est un processus de dépossession. Avant la trame narrative elle-même, ce sont ses éléments de composition qui ont tout de suite été clairs pour moi. Il fallait chanter le vol du boli, il fallait le danser et il fallait qu’il soit sur scène.”
Le rêve d’un présent fondé sur la circulation, le partage des œuvres
“En préambule, avant le lever de rideau, c’est l’Afrique des petites gens qui s’exprime, les anonymes qui ont une vraie légitimité pour prendre la parole. Ensuite, nous sommes dans l’Afrique ancienne, que je voulais magnifier, avant la rencontre avec l’Occident, lorsque la royauté est dépossédée. Le Vol du boli suit le parcours de ce roi qui devient boy, puis esclave, puis tirailleur. Au final, il se retrouve dans ce musée parisien et il va garder ce boli qu’on lui a rendu.”
“Toutes les musiques d’Afrique, aussi différentes soient-elles, ont en commun la spontanéité, par opposition au contrôle et à la prévision” Damon Albarn
Réunissant des musiciens de plusieurs pays d’Afrique, Damon Albarn a également voulu sur scène la présence du chœur médiéval de Notre-Dame : “Je voulais faire quelque chose qui soit à l’intersection de l’Afrique et de l’Occident. D’où la présence de ce chœur. Pour moi, c’est le moment dans l’histoire où la musique de l’Afrique et celle de l’Occident se séparent. Au Moyen Age, la musique occidentale est polyphonique, comme la musique africaine. C’est au début de la Renaissance que s’instaure une grammaire de la musique.”
“Là où on écrivait tout en Europe – ce qui rendait les choses statiques –, en Afrique, on a continué à perpétuer la transmission orale, non figée. Toutes les musiques d’Afrique, aussi différentes soient-elles, ont quelque chose en commun que j’ai eu la chance de découvrir et de partager avec tous ces musiciens : la spontanéité par opposition au contrôle et à la prévision.” Une rencontre qui assume son passé et rêve d’un présent fondé sur la circulation, le partage des œuvres et des hommes.
Le Vol du boli une création de Damon Albarn et Abderrahmane Sissako. Du 7 au 9 octobre, Théâtre du Châtelet, Paris
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