Tout comme les biennales d’art, les prix élisant les artistes à suivre sont devenus légion. Manière, souvent, d’enclencher le tourisme culturel pour les premières et course au jeunisme pour les seconds. Parmi ces derniers cependant, le Turner Prize, qui fait la lumière sur l’art contemporain britannique, a longtemps tiré son épingle du jeu.
Créé en 1984, le jury d’institutionnels sélectionne les artistes pour une proposition marquante en institution au cours de l’année, tout en organisant une exposition en cours d’année des quatre nommé·es. On lui doit d’avoir souvent eu du flair avec Anish Kapoor, Damien Hirst, Douglas Gordon, Wolfgang Tillmans ou Laure Prouvost. Mais ces dernières années, le prix est également devenu une boussole, plus largement, des lignes de force qui agitent le monde de l’art, notamment les médiums, le statut de l’artiste, la mise en concurrence ou le jeunisme.
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En 2018, l’édition prenait le parti d’une sélection composée uniquement de vidéos (Luke Willis Thompson, Naeem Mohaiemen, Forensic Architecture, Charlotte Prodger). L’année suivante, les artistes en lice s’opposaient à la logique compétitive et se constituaient en collectif (Lawrence Abu Hamdan, Helen Cammock, Oscar Murillo et Tai Shani). Jusqu’à une édition 2021, elle aussi marquée par un parti pris fort, avec uniquement des collectifs engagés socialement ou des tiers-lieux, une manière d’élargir la notion d’artiste, d’activiste et de travailleur·euse social·e (Black Obsidian Sound System, Cooking Sections, Gentle/Radical, Project Art Works). Cette année, la sélection des nommé·es, tombée le 27 avril, joue au premier abord une carte plus traditionnelle, du moins dans la conception de l’artiste.
Soit une parité parfaite, sans hommes cis néanmoins, et un vaste panel de pratiques, sans peinture figurative toutefois. Barbara Walker, Jesse Darling, Ghislaine Leung et Rory Pilgrim ont en commun de pratiquer divers médiums réunis en installation, plongeant les structures de pouvoir pour les difracter par des formes minimales, du scandale Windrush à la précarisation post-pandémie. Ce qui s’affirme en creux concerne quelque chose comme une mise en suspension : une anxiété d’artistes soucieux·ses, précarisés face à des institutions qui font lentement leur mea culpa, d’où triomphe néanmoins une volonté de produire malgré tout, par des formes légères, élégiaques et anti-grandiloquentes. Le portrait du présent, cela serait alors ce monde de l’art en gestation – ou pour les plus optimistes : en transition.
Édito initialement paru dans la newsletter Art du 2 mai. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !
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