Quand un acteur engagé rempoche ses convictions pour servir son ambition. Jean-Pierre Baro s’inspire avec cruauté de Mephisto de Klaus Mann
pour évoquer la situation politique française.
Le diable se niche dans les détails, surtout lorsqu’il se manifeste sous la forme d’une sanglante distribution de spécialités charcutières. Avec Mephisto (Rhapsodie), Jean-Pierre Baro nous invite à suivre la chronique de la vie d’une troupe de province qui répète La Cerisaie de Tchekhov dans la petite ville de Balbek et découvre un beau matin une tête de cochon déposée sur le parvis de leur théâtre subventionné.
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La fin du “vivre ensemble”
Avec Mephisto, Klaus Mann se questionnait dans l’Allemagne des heures blêmes du nazisme sur les rapports entre le monde de l’art et celui de la politique après l’arrivée au pouvoir d’Hitler en 1933. S’inspirant du roman, la pièce de Samuel Gallet reprend la figure de son héros avec un acteur, Aymeric Dupré, qui ne cesse d’affirmer son engagement dans l’action culturelle avant que l’ambition ne l’incite à faire passer en premier sa carrière sans se préoccuper des compromissions nauséeuses qui vont lui permettre de voir son nom grimper au plus haut de l’affiche.
Toute ressemblance avec des événements se déroulant aujourd’hui en France est volontaire. La fiction permet seulement d’anticiper sur les conséquences de la banalisation des thèses de l’extrême droite dans les classes populaires et entérine la fin du “vivre ensemble”, devenu un cache-misère pour le plus grand nombre. Ceux qui se revendiquent en représentants du “peuple réel” ne se contentent plus de crier leur révolte et de battre le pavé. C’est dans les urnes qu’ils participent de la montée en puissance d’un mouvement identitaire nommé Premières Lignes en lui confiant démocratiquement les rênes du pays.
Revendiquer d’une liberté créative totale
Le destin de notre histrion aveuglé par son ego se joue en parallèle de cette situation politique. S’étant fait reconnaître dans la capitale, le comédien incarné par Elios Noël, retourne à la case départ après avoir été nommé directeur du théâtre de Balbek par les tenants du nouveau pouvoir en place. Reste la farce pathétique d’une culture sanctuarisée en opposition de pacotille quand il se revendique d’une liberté créative totale en remplaçant le fameux crâne d’Hamlet de Shakespeare par une tête de cochon.
Quelques lettres en néon, les rampes d’ampoules des miroirs de maquillage et une collection de servantes
Dans ce monde où les idées des philosophes des Lumières passent définitivement à la trappe, Jean-Pierre Baro s’attache à montrer la singularité de chacune des sources lumineuses qui éclairent son spectacle. Quelques lettres en néon, les rampes d’ampoules des miroirs de maquillage et une collection de servantes (les lampes qui continuent de brûler sur le plateau quand le rideau est baissé), tout concourt à rappeler sa foi dans le théâtre. Un public averti en vaut deux, mais quel est l’avenir de l’art dans une époque où infuse le prêt-à-penser d’un populisme qui gangrène irrémédiablement les esprits ?
Mephisto (Rhapsodie) d’après l’œuvre de Klaus Mann, texte Samuel Gallet, mise en scène Jean-Pierre Baro, avec Mireille Roussel, Elios Noël, Lorry Hardel… Les 21 et 22 mars, Théâtre Joliette, Marseille, et en tournée
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