Dans son théâtre de Saint-Denis, Jean Bellorini reprend pour une poignée de représentations exceptionnelles sa mise en scène du Suicidé de Nicolaï Erdman, créée à Berlin en février avec le Berliner Ensemble.
En montant Le Suicidé du Russe Nicolaï Erdman avec la troupe du Berliner Ensemble, Jean Bellorini est devenu le premier metteur en scène français à réaliser un spectacle à Berlin sur le plateau de la fameuse institution théâtrale de l’ancienne Allemagne de l’Est, créée par Bertolt Brecht en 1949. L’occasion pour lui de faire entendre un auteur qui fut censuré à l’époque de l’Union Soviétique et dont la pièce fut interdite de représentation par Staline à la veille de sa première à Moscou en 1933.
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On pourra facilement faire le lien entre les soucis d’un auteur que le régime stalinien empêchait de travailler et le statut de chômeur du héros de la pièce. A force de se ronger les sangs à ne rien faire, Sémione Sémionovitch est devenu aussi déprimé que boulimique.
L’action débute quand, en pleine nuit, il s’enferme dans la cuisine de l’appartement communautaire pour se gaver de saucisson de foie. Ses voisins le repèrent à l’instant où il s’enfourne dans le gosier un long morceau de sa spécialité charcutière préférée… et pensent qu’ils viennent de le surprendre avec le canon d’un revolver enfoncé dans la bouche. Le bruit court qu’il est suicidaire.
A partir de cette situation digne de Feydeau ou de Labiche, le génie comique de Nicolaï Erdman tire les ficelles de sa farce politique sur l’air de “puisqu’il est prêt à mourir, autant que ce soit pour une bonne cause”. S’ensuit un défilé de tous ceux qui ont des revendications à défendre. Comme on le croit prêt à en finir, le bougre qui n’était personne devient le personnage le plus important de la ville.
Musicalité et comique
Pour pallier l’inconvénient de ne pas parler la langue allemande, Jean Bellorini a eu la belle idée de diriger ses comédiens à l’oreille en les accompagnant au piano. Accélérant ou ralentissant le tempo, s’aidant parfois de la voix en chantant des borborygmes, il pouvait ainsi leur indiquer note après note la manière dont il souhaitait que le texte soit joué.
Témoignant de la genèse de cette création qui doit autant à la musicalité de ses répliques qu’au comique de ses situations, un percussionniste et un accordéoniste accompagnent en permanence les acteurs durant la représentation. Acmé musicale du spectacle, la scène épique du banquet est digne d’un cabaret.
Avant de mettre fin à ses jours et en forme d’apothéose, Georgios Tsivanoglou, qui incarne notre suicidé, vit son heure de gloire en reprenant avec brio Creep, le tube de Radiohead. Tandis que Staline se retourne dans sa tombe, les spectateurs eux, se plient de rire.
Der Selbstmörder – Le Suicidé de Nicolaï Erdman, mise en scène Jean Bellorini, avec la troupe du Berliner Ensemble, en allemand surtitré en français, jusqu’au 16 octobre au Théâtre Gérard-Philipe, Saint-Denis
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