Samedi 13 juin, le street artist Combo a réalisé une fresque, qui s’est vu accuser de « racisme anti-blanc » et de « sexisme » par plusieurs associations d’extrême droite. Elle a été recouverte de slogans nationalistes, et l’Agrif (extrême droite) veut porter plainte. Explications.
Samedi 13 juin, 107, rue Oberkampf à Paris, l’association le M.U.R (Modulable Urbain Réactif) – engagée depuis 2003 dans la promotion de l’art urbain – inaugure une nouvelle fresque éphémère. L’emplacement est devenu l’un des principaux spots de street art de Paris, le M.U.R empruntant « à l’affichage publicitaire son format et son rituel », comme l’explique le site de l’association.
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Celui qui recouvre l’œuvre de Pantónio ce jour-là n’est autre que Combo, le street artist célèbre pour ses affiches Coexist – un croissant musulman pour le C, une étoile de David pour le X, et une croix chrétienne pour le T – qui ont fleuri dans les rues de Paris en janvier dernier. Cette création lui avait valu d’être passé à tabac par quatre jeunes le 30 janvier, près de la porte Dorée à Paris.
Une fresque paradoxale
La performance et le vernissage ont eu lieu en public. Le résultat a suscité l’ire de l’extrême droite. Combo a dessiné une jeune femme blonde et auréolée – une “Jeanne de Paname”, en référence à Jeanne d’Arc – , casque bleu vissé sur la tête, dans une posture de combattante, et avec un drapeau rouge sur son épaule, sur lequel on lit une devise : « Liberté, Egalité, Humanité ». Sur sa gauche, un slogan nationaliste bien connu écrit en noir – « La France aux Français » –, est barré d’un trait de peinture rouge, qui a servi à l’écriture du second slogan : « Les Françaises aux Africains ».
Une petite affiche noire collée en bas à droite de la fresque n’éclaire pas plus sur le sens à donner au dessin, et à ce slogan provocateur. Elle informe seulement que cette oeuvre originale de Combo sera exposée jusqu’au 27 juin.
Dégradations et indignation de l’extrême droite
Il n’a cependant pas fallu plus de 48 heures pour que le slogan douteux inscrit en rouge soit dégradé. Le lundi 15 juin au soir, il a été partiellement recouvert de peinture grise, qui rend désormais illisible le message. Emmanuelle Laurent était présente à la table la plus proche du bar situé à côté de la fresque. Contactée par Les Inrocks, elle raconte :
“Deux mecs sont arrivés avec des verres remplis de peinture. Ils ont intimé aux gens de se pousser, et ont balancé la peinture en disant qu’ils n’étaient pas d’accord avec ce qui était écrit. Le serveur leur a demandé de se barrer. C’était très inattendu.”
Dans la foulée, le 16 juin, le collectif “Culture, Libertés, Création”, récemment lancé par le Front national, publiait un communiqué sur son site en réaction à la fresque de Combo. Son titre est peu équivoque : « Fresque raciste, sexiste, et pro-immigration clandestine en plein Paris. » Un réquisitoire en bonne et due forme, signé du secrétaire général du collectif, Gabriel Robin, qui écrit :
“La mairie de Paris soutient un projet qui appelle à ne pas respecter la loi, et n’hésite pas à laisser une association faire la promotion de l’immigration massive et illégale. En outre, le message ‘Les Françaises aux Africains’ est tout aussi raciste que sexiste, laissant penser que les Françaises doivent s’offrir à tous les immigrés clandestins. Dans cette peinture au propos abject, les femmes sont réifiées au profit des hommes.”
Le communiqué précise que le M.U.R reçoit une subvention annuelle de 17 000 euros de la mairie de Paris, et somme Anne Hidalgo de demander des explications à l’association.
Le soir du 16 juin, la fresque a encore été taguée de slogans nationalistes, jusqu’à la détruire complètement.
LA #FRANCE AUX FRANÇAIS ! LES FRANÇAISES AUX FRANÇAIS ! Mort à l’#AntiFrance !! #SUS ! 👊🏼✊🏼✌🏼️ pic.twitter.com/dW2kA8qSuT
— ⚡️ELECTЯE B.B⚡️ (@ElectreIsMore) 17 Juin 2015
« Ce n’était pas à prendre au premier degré »
Contacté par Les Inrocks, Combo explique avoir volontairement choisi la provocation pour interpeller sur l' »absurdité » du slogan nationaliste “La France aux Français” :
« ‘Les Françaises aux Africains’ est le contraire, tout aussi absurde, de la première phrase. Ce n’est pas une vérité, ce n’est pas ce que je pense, mais je voulais casser le mécanisme de pensée propre au slogan ‘la France aux Français’, le déconstruire, et montrer que certes, ‘les Françaises aux Africains’ est une phrase choquante, mais autant que ‘la France aux Français’. Ce n’était pas à prendre au premier degré. »
Les accusations de sexisme lui paraissent d’autant plus infondées qu’en dépit de cette phrase, « c’est une peinture plutôt féministe », explique-t-il :
« C’est une Jeanne d’Arc avec des cheveux courts, moderne, et sur le drapeau on peut lire : ‘Liberté, Egalité, Humanité’, et non plus ‘Fraternité’, ce qui signifie que les femmes aussi sont inclues. De plus elle a une position très virile dans sa manière de combattre, ce qui est traditionnellement l’apanage des hommes. »
L’Agrif porte plainte
Plusieurs associations et de nombreux militants d’extrême droite (sur Twitter notamment) se sont engouffrés dans la brèche créée par l’incertitude sur l’interprétation du dessin. L’Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne (Agrif), association d’extrême droite créée en 1984 et présidée par Bernard Antony, a annoncé porter plainte contre l’œuvre de Combo, considérée comme “doublement raciste, d’abord à l’égard des femmes françaises ravalées au rang de butin et à l’égard des Français en général.”
Cette affaire illustre la difficulté pour les street artists de s’aventurer en terrain politique. Un dessin de Banksy représentant des pigeons anti-immigrés face à un moineau représentant le migrant avait été effacé d’un mur de Clacton-on-Sea en 2014 par la municipalité, car il avait été accusé de « racisme ».
“Dans le street art, dès qu’on commence à toucher à des sujets un peu tabou, comme la religion ou la politique, des gens tentent d’effacer ce que l’on fait, ou nous agressent. Ils refusent que la société civile s’interroge sur ces problématiques. Les politiques veulent garder la mainmise sur le politique et la religion pour pouvoir s’en servir, alors que n’importe qui devrait pouvoir en parler librement”, conclut Combo.
Contacté, Bernard Antony n’a pas souhaité répondre par téléphone
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