Suite au refus des commissaires de retirer une œuvre jugée « inadéquate », le directeur du MACBA à Barcelone fait fermer l’expo le jour de son ouverture. En cause, une sculpture de l’artiste Inès Doujak qui tourne en ridicule le roi d’Espace Juan Carlos, représenté dans une posture pornographique.
C’est une première dans l’histoire du Musée d’art contemporain de Barcelone, mais malheureusement loin d’être un cas isolé. Sous la censure, l’expo La bestia i el sobirà (« La bête et le souverain »), dont l’inauguration était prévue le 18 mars, a été contrainte de fermer ses portes le jour même de son ouverture. En cause, le bras de fer qui oppose la direction du musée et les commissaires de l’exposition, Valentin Roma, Paul B. Preciado, Hans D. Christ et Iris Dressler. Le motif de la controverse ? L’œuvre Haute Couture 04 Transport de l’artiste autrichienne Inès Doujak, une sculpture où le roi Juan Carlos est représenté à quatre pattes sur un tapis de casques nazis, chevauché par la féministe bolivienne Domitila Barrios de Chúngara, elle même sodomisée par un chien-loup. Suite au refus des commissaires de retirer l’œuvre, jugée « inadéquate et contraire à la ligne éditoriale du musée » par le directeur Bartolomeu Mari, celui-ci annule l’ouverture d’une expo déjà installée. Dans un communiqué publié le jour même, les commissaires affirment pourtant que » La direction du Macba était informée aussi bien du concept curatorial que du contenu concret des œuvres. Le directeur avait validé le projet, et aussi bien sa description que la liste des artistes étaient mis en ligne sur la page internet du Macba depuis des semaines. »
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Une œuvre symbolique qui caricature les archétypes du pouvoir
Pour les commissaires, la sculpture dénonce les archétypes du pouvoir, notamment les relations inégalitaires entre l’Europe et l’Amérique latine, abordées ici par le prisme de la souveraineté blanche et masculine (le roi Juan Carlos) en rapport avec l’exploitation sexuelle et coloniale (Barrios de Chúngara). En cela, l’œuvre avait donc toute sa place dans une expo qui se proposait d’explorer « comment les pratiques artistiques contemporaines questionnent et déconstruisent la définition de la souveraineté politique », comme le souligne Valentin Roma, l’un des commissaires, dans le journal El Pais. Il rappelle également que « l’art a caricaturé le pouvoir pendant des siècles ». L’œuvre d ‘Inès Doujak s’inscrit dans cette tradition, celle d’un art engagé et offensif, précédé par des siècles d’iconoclasme et de parodie carnavalesque. Juger qu’elle relève d’une attaque personnelle contre les personnes représentés revient à méconnaître la portée symbolique de l’art.
L’équipe du musée et la Württembergischer Kunstverein de Stuttgart solidaire
La Württembergischer Kunstverein de Stuttgart, co-productrice de l’expo, a immédiatement fait savoir son indignation et apporté son soutien aux commissaires sur son site. Elle a également annoncé sa volonté d’accueillir l’exposition entre ses murs le plus tôt possible. Quant à l’équipe du MACBA, solidaire des commissaires, elle a exigé une rencontre avec la direction afin de « comprendre les implications de l’opposition entre les curateurs et la directions, ainsi que les précédents posés par l’affaire« , reporte le site artnet.
Contre le climat délétère ambiant, réaffirmer le rôle critique du musée
C’est la seconde fois en l’espace de quelques mois seulement qu’une œuvre d’art polémique met en ébullition la société espagnole. En novembre dernier, artnet relayait la pétition lancée par une association catholique qui exigeait la démission du directeur du Museo Reina Sofia à Madrid. Cette fois, c’était une œuvre du collectif argentin Mujeres Publicas (« femmes publiques ») qui avait mis le feu aux poudres, une œuvre intitulée Cajita de Cerillas (« petite boîte d’allumettes ») et sur laquelle on lisait la phrase « La seule église qui illumine est celle qui brûle ». Rappelons que le contexte français n’est guère plus clément. Pour preuve, la censure dont avait fait l’objet ce janvier l’expo Femina ou la réappropriation des modèles organisée par la galerie Filles du Calvaire à Clichy, qui avait dû fermer sous la pression. Autant de menaces directes qui pèsent sur les institutions culturelles publiques, qui peinent de plus en plus à remplir leur rôle premier de laboratoire de la pensée critique.
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