Alors que l’Institut des Cultures d’Islam créé par l’ancien maire de Paris Bertrand Delanoë devait bénéficier de deux nouveaux bâtiments dans les quartiers de La Goutte d’Or et Barbès, la nouvelle équipe municipale a finalement préféré se rabattre sur un projet moins coûteux. Au grand dam de Jamel Oubechou, le président de l’Institut.
Plusieurs médias, comme Le Parisien et France TV Info, ont relayé, mardi 8 septembre, une dépêche AFP qui annonçait que la mairie de Paris renonçait à construire le deuxième bâtiment de l’Institut des Cultures d’Islam (ICI), un institut culturel dédié à l’art contemporain qui accueille dans son premier bâtiment (« ICI Goutte d’Or » rue Stephenson, 18e arrondissement) une salle de prière pour les musulmans.
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Pourtant, la réalité est un peu plus compliquée que cela : « Il y aura bien un deuxième site pour l’ICI, assure Bruno Julliard, premier adjoint à la maire de Paris en charge de la Culture. En revanche, ce ne sera pas le bâtiment qui était prévu (« ICI Barbès » rue Polonceau, 18e arrondissement, ndlr), mais un autre bâtiment. » Cet autre local est en fait le « centre de préfiguration » de l’ICI, un lieu temporaire situé rue Léon (18e arrondissement) dont la fonction était, à l’origine, d’accueillir les événements culturels de l’association en attendant que les travaux des deux autres bâtiments soient finalisés.
Répondre à la « méconnaissance de ce que sont les cultures d’islam » et engager le dialogue avec les pratiquants
Le projet de l’Institut des Cultures d’Islam a été proposé par l’ancien maire de Paris, Bertrand Delanoë, il y a sept ans, dans le contexte de tension qui régnait au sujet des « prieurs de rue » à l’extérieur de la mosquée située dans la rue Myrha, dans le quartier de la Goutte d’Or (18e arrondissement). Il visait certes à combler le manque de salles de prière mais surtout à répondre à la « méconnaissance de ce que sont les cultures d’islam », selon le président de l’ICI, Jamel Oubechou. Le principe était de construire un établissement culturel qui accueillerait un lieu de culte :
« Il y a une seule entrée pour tout le monde, que les gens aillent à la prière, aux activités culturelles, aux différents ateliers proposés ou aux conférences. Tout le monde se mélange. L’idée, c’est que les expositions culturelles attirent le regard de ceux qui vont prier et qu’on engage le dialogue. »
Bien sûr, la ville de Paris doit respecter le principe de laïcité et ne peut donc pas subventionner un lieu de culte., explique Jamel Oubechou :
« Le projet était conçu pour être conforme au droit français, donc deux mesures ont été prises : garantir l’indépendance de programmation de l’établissement culturel et assurer qu’aucun des crédits publics dont nous bénéficions à l’ICI, venus de la ville de Paris, ne bénéficie à l’association cultuelle. »
L’association culturelle et la Mosquée de Paris ont donc signé une convention de gestion que M. Oubechou résume ainsi :
« C’est comme si vous étiez dans un immeuble : vous habitez dans un appartement et votre voisin habite dans un autre. Evidemment, il y a un syndic qui répartit les frais de ménage et les frais de poubelle entre les deux voisins. Nous, nous faisons aussi le syndic : nous re-facturons à l’association cultuelle ce qu’elle doit payer. »
« Dans le contexte actuel, nous assumons de na pas dépenser 13 millions d’euros pour construire un nouveau bâtiment »
Voté à l’unanimité au Conseil de Paris, le projet avait été confié à l’architecte Yves Lion, qui s’est chargé de réaliser les plans des deux bâtiments prévus, l’ICI Goutte d’Or et l’ICI Barbès. Le premier a ouvert ses portes en novembre 2013.
L’Institut des Cultures d’Islam ouvre ses portes aujourd’hui ! @culturesdislam @BertrandDelanoe @Anne_Hidalgo #CulturesPlurielles
— Bruno Julliard (@BrunoJulliard) November 28, 2013
Quant au second, Jamel Oubechou déclare avoir été informé le 3 juillet dernier par Anne Hidalgo qu’il ne serait pas construit, faute de moyens.« Dans le contexte actuel, nous assumons de ne pas dépenser 13 millions d’euros pour construire un nouveau bâtiment, confirme Bruno Julliard. Cela revient nettement plus cher de construire un bâtiment neuf plutôt que de faire des travaux pour pérenniser le site de la rue Léon – alors même qu’il fonctionne très bien. »
Mais cet argument est fermement attaqué par le président de l’ICI, qui rappelle que le marché public a été attribué pour les deux bâtiments :
« La construction, certes, coûte de l’argent, mais il faut aussi mesurer ce que le projet rapporte, notamment dans un quartier comme La Goutte d’Or où l’on a par ailleurs une mission de démocratisation de la culture. Dans le budget d’investissement de la ville, si on veut trouver ces 13 millions d’euros, on peut les trouver. »
En plus, Jamel Oubechou considère que le local situé rue Léon n’est pas adapté à l’ambition culturelle de son association :
« C’est un bâtiment en préfabriqué, ça ne peut pas tenir, ce n’est pas un vrai espace d’exposition professionnel. On a une cour qui est très jolie, mais dès qu’il pleut on ne peut pas s’y produire. L’été, il faut attendre la nuit tombée pour organiser des spectacles. On dérange les voisins dont l’appartement donne sur la cour si on fait un concert… »
De son côté, si M. Julliard admet que le local rue Léon « est un peu plus petit que ce qui était prévu rue Polonceau », il soutient que « le bâtiment fonctionne remarquablement bien » depuis sept ans et qu’il a déjà participé à des événements culturels nocturnes rue Léon qui se sont très bien déroulés. « Il n’y a aucune différence avec les deux autres sites en terme de voisinage », ajoute-t-il.
Une décision « idéologique » ?
Jamel Oubechou, lui, est catégorique : il s’agit d’une décision « idéologique » de la nouvelle maire de Paris. Il dit qu’elle lui a affirmé en personne – lors de ce rendez-vous du 3 juillet – ne pas croire au bien fondé d’un espace culturel qui accueillerait un lieu de culte. Le son de cloche est quelques peu différent chez M. Julliard : il se dit content de cette cohabitation à l’ICI Goutte d’Or mais n’est pas favorable à établir une configuration similaire pour le deuxième site de l’association. « Ce serait donner raison à ceux qui ont dit que l’ICI n’était qu’une excuse pour aider à construire des lieux de culte », indique-t-il. De plus, il réfute le terme « décision idéologique » utilisé par le président de l’ICI et lui préfère celui de « conviction politique ».
Très remonté contre les élus parisiens, M. Oubechou ajoute que tous les élus parisiens – ceux de l’opposition, de la majorité (PS, PRG et EELV) et même l’équipe rapprochée de la maire – étaient favorables à la construction de l’ICI Barbès jusqu’à ce qu’Anne Hidalgo décide « unilatéralement » de modifier le projet. D’après lui, Bruno Julliard lui-même soutenait le projet d’origine : il a même annoncé la construction de l’ICI Barbès lors d’une inauguration organisée par l’Institut le 15 janvier dernier, quelques jours seulement après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher. Ce à quoi l’élu répond qu’il avait annoncé cela car « c’était l’arbitrage qui était décidé à ce moment-là », avouant par ailleurs qu’à l’origine, Jamel Oubechou et lui-même avaient tous les deux des doutes sur la coexistence d’un lieu culturel et d’une salle de prière, avant d’être rassurés par l’expérience fructueuse de l’ICI Goutte d’Or.
Et maintenant ?
L’avenir de l’Institut des Cultures d’Islam semble bien fixé sur les deux sites existants – la parcelle de la rue Polonceau accueillerait uniquement une salle de prière et serait donc vendue par la ville de Paris dans le cadre d’un marché privé. Mais Jamel Oubechou, qui a déjà publié dans la dernière brochure de l’ICI un édito intitulé « Oser l’ICI ! », est bien déterminé à lutter pour défendre le projet initial.
Il compte évoquer le sujet au prochain conseil d’administration de l’association culturelle, souhaite consulter le Conseil de Paris et la population du quartier et n’écarte pas la possibilité de lancer une pétition :
« Je pense qu’il va y avoir des manifestations à droite à gauche. Les Verts ont déjà décidé d’interroger la maire sur les raisons de cette décision et sur la nécessité d’une concertation avec les élus et la population. »
Toutefois, cette éventualité n’inquiète pas vraiment Bruno Julliard, qui signale que « dès lors qu’il y aura des travaux à financer il faudra un vote au Conseil de Paris ». De même pour le bâtiment rue Polonceau ou « en cas de transaction avec l’architecte. Le conseil de Paris est sollicité quasi- systématiquement pour ce genre d’actes », conclue-t-il.
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