En septembre, le vernissage de l’exposition du Prix Ricard donne le coup d’envoi d’une rentrée artistique dont la frénésie ira croissant jusqu’à la Fiac. On s’y presse pour tenter de déchiffrer les nouvelles tendances qui agitent la jeune scène artistique et y aller de ses pronostics sur qui empochera le prix fin octobre. En jouant la […]
En septembre, le vernissage de l’exposition du Prix Ricard donne le coup d’envoi d’une rentrée artistique dont la frénésie ira croissant jusqu’à la Fiac. On s’y presse pour tenter de déchiffrer les nouvelles tendances qui agitent la jeune scène artistique et y aller de ses pronostics sur qui empochera le prix fin octobre.
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En jouant la carte de l’esprit collégial contre la logique concurrentielle inhérente à l’exercice, Anne-Claire Schmitz, la commissaire de cette 19e édition, envoie dès le titre et la déclaration d’intention de l’exposition un signal fort : Les Bons Sentiments rassemble six artistes – dont un duo –, chacun porteur d’un désir de construire des formes et des mondes.
A priori, cette impulsion s’applique à n’importe quel artiste un tant soit peu sincère dans sa pratique. Précisément, c’est bien cet optimisme, cette authenticité et cet engagement à vivre autrement dont la commissaire vient ici désigner les occurrences retrouvées.
Or pour être retrouvé, il faut que d’abord qu’un tel désir ait été perdu : c’est le cas, faut-il lire en filigrane, étouffé qu’il a été sous la chape de plomb de la critique postmoderne et du mimétisme postinternet.
Des univers construits dans un esprit collaboratif
Chez Deborah Bowmann, Thomas Jeppe, Zin Taylor, Pauline Curnier Jardin, Lola Gonzàlez ou Caroline Mesquita, toutes velléités à un “post” quel qu’il puisse être ont été évacuées. A la verticalité de la relation à l’histoire de l’art, ils préfèrent l’horizontalité de l’ouverture à la diversité du contemporain ; et à la racine, le rhizome.
Très concrètement, cet esprit se traduit par un ensemble de pièces qui semblent au premier coup d’œil refermées sur elles-mêmes, mais qui le sont parce qu’elle construisent chacune un univers à partir de collaborations externes à la mare aux canards du monde de l’art.
Ainsi, sous l’étiquette Deborah Bowmann se cache à la fois un ensemble d’œuvres signées de ce nom, un duo d’artistes apparaissant en tant que personnages à part entière et un lieu d’exposition indépendant installé depuis 2015 à Bruxelles – et, certainement l’un des projets les plus intéressants de ce prix.
A l’entrée, ils ont installé des îlots en velours bleu roi servant de présentoirs aux écharpes et foulards du créateur de mode Philippe Gaber. Pas une variation stylistique formelle autour du vocabulaire du display comme on en a tant vu, puisque ces pièces iront bel et bien rejoindre les vitrines de la marque.
Mode, nuit et rituels néospirituels
Lui faisant face, Thomas Jeppe, autre découverte de ce Prix, a lui aussi choisi de présenter une pièce insulaire, cabane transparente dans laquelle il faut pénétrer pour écouter le vinyle réalisé avec le producteur techno Low Jack, et appuyé par les recherches du chanteur d’opéra Manuel Garcia.
A travers les pages d’un fanzine affiché aux parois de l’installation, où l’on retrouve également les mots du philosophe et noctambule Gilles Châtelet, s’esquissent les contours d’une communauté d’âmes sensibles et éternellement juvéniles.
Mode, nuit, mais aussi rituels néospirituels de Pauline Curnier Jardin, cercle d’amis chez Lola Gonzàlez ou encore résurgences narratives du primitivisme dans l’abstraction d’un Zin Taylor ou de la contre-culture biker dans la sculpture matiériste de Caroline Mesquita.
Six artistes en quête de hauteur
Ces artistes sont à l’image d’une génération que l’on voyait prendre conscience d’elle-même lors des mouvements des places, où se rassemblaient des corps désirants, mus par la volonté de créer ses propres modes de sociabilité plutôt que de déboulonner les statues des pères.
Faire “alliance”, plutôt que de répéter les schémas classiques d’appartenance ou d’identification à une identité collective prédéfinie, composer avec le divers et la polyphonie : telle était l’évolution de la manière de se construire vis-à-vis du groupe que diagnostiquait Judith Butler dans son dernier ouvrage Rassemblement. Pluralité, performativité et politique.
Au Prix Ricard également, la tranche toujours forcément arbitraire prélevée dans le vivier artistique surprend agréablement par sa capacité d’accueil : accueil à des artistes étrangers ou tout simplement mobiles, accueil au décloisonnement des disciplines, accueil à des œuvres qui souvent semblent laisser peu de place au spectateur.
Sans doute faut-il y voir un écho à la manière de travailler des project-space – la commissaire dirige par ailleurs l’espace indépendant La Loge à Bruxelles –, porteurs de cet esprit de production de modes de sociabilité alternatifs. Ingrid Luquet-Gad
Les Bons Sentiments – 19e Prix Fondation d’Entreprise Ricard Jusqu’au 28 octobre, Fondation d’Entreprise Ricard, Paris VIIIe
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