Doyen des metteurs en scène français, Claude Régy est mort dans la nuit du 25 au 26 décembre, à l’âge de 96 ans. Un dernier retour avec lui sur son incroyable parcours théâtral.
A l’heure où l’on apprend la mort de Claude Régy, on ne peut que penser à Rêve et folie, son ultime spectacle créé en 2016 avec son acteur fétiche Yann Boudaud. Dès le titre, cette dédicace à l’auteur austro-hongrois Georg Trakl (1887-1914) formait un condensé de la trace que le metteur en scène n’a jamais cessé d’ouvrir. Lui qui était capable d’inventer ce spectacle proprement inoubliable à partir d’un texte d’à peine cinq feuillets. Son parcours trouvait alors écho dans la poésie de Trakl qui ne cessait de batailler avec la langue pour l’accorder à ses visions et pestait sur les limites du possible d’écrire. « Le mot dans sa paresse cherche en vain à saisir au vol/L’insaisissable que l’on touche dans le sombre silence/Aux frontières ultimes de notre esprit. » Phénoménale concordance de pensée, la remarque de l’auteur, à cent ans d’intervalle, pouvait aussi définir le théâtre de Claude Régy, tant la pratique de ses rituels d’ombre allant débusquer le sens entre les mots trouvait une parfaite résonance avec celle du poète qu’il avait choisi pour faire ses adieux à la scène.
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A la découverte des auteurs contemporains
Comme tous les grands artistes, Claude Régy a eu plusieurs périodes dont celle où, dans le théâtre privé, il dirigea les plus grands acteurs et fit découvrir les auteurs contemporains. En 2010, il s’amusait à nous raconter l’histoire de ses débuts dans les années 60 : « J’ai découvert Harold Pinter dans un placard de la Gaîté Montparnasse où j’étais l’assistant de Michel Fagadau, ce qui n’est pas glorieux, mais c’est tout ce que j’avais trouvé. Il m’avait promis de me laisser faire une mise en scène tous les trois ans et quand la troisième année est arrivée, il m’a dit que ce n’était pas possible, donc je lui ai dit que j’en m’en allais. Mais, entre-temps, il m’avait dit : ‘Regarde dans le placard, il y a des trucs, j’y comprends rien, un certain Pinter…' »
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Il enchaîne en précisant les raisons de son choix qui témoigne déjà d’une feuille de route l’engageant pour la vie : “C’était L’Amant et La Collection, des pièces très influencées par Beckett que Pinter admirait infiniment et qui étaient une vraie réflexion sur le langage. C’est-à-dire le fait que le langage ne dit pas ce qu’il a l’air de dire, qu’on peut lui faire dire autre chose que ce qu’il a l’air de dire, et le fait que le silence est un langage à part entière et qu’il est un complément indispensable de l’écrit qui fait du bruit. Tout ça m’intéressait et me convenait très bien et curieusement, pour ce spectacle au théâtre Hébertot en 1965, il faut dire qu’il y avait Delphine Seyrig, Jean Rochefort, Bernard Fresson, Michel Bouquet, que j’avais eu la chance de pouvoir réunir. C’est vrai que pour moi, ça a été un début, car jusque-là, on n’avait pas du tout parlé de mon travail de metteur en scène. A la suite de ça, j’ai été appelé au théâtre Antoine et j’ai monté beaucoup de choses de cette jeune vague anglaise qu’on appelait ‘les jeunes hommes en colère’, notamment L’Anniversaire de Pinter. »
Avant cette déferlante british, il nous raconte sa rencontre avec Marguerite Duras d’une manière piquante : « Je me suis procuré son téléphone, je l’ai appelée et à ma grande surprise, elle était d’une ouverture fantastique. Elle m’a dit : ‘Venez à la maison, on va parler de ça. ‘ Elle avait réuni tout l’aréopage, il y avait Dionys Mascolo, Robert Antelme et elle leur a dit : ‘Vous voyez, lui, il aime ça ! ‘ (rires). Du coup, elle m’a donné les droits des Viaducqs de la Seine-et-Oise. “Après, suivront L’Amante anglaise, Navire Night, Savannah Bay avec Madeleine Renaud, Bulle Ogier, Michael Lonsdale, Marie France… C’est Marguerite Duras qui lui présente Nathalie Sarraute. Un autre compagnonnage qui commence par Isma et se poursuit avec C’est beau et Elle est là.
Humour et humilité
Toujours à l’affût de nouveaux auteurs, Claude Régy sera dans les années 70 le passeur français d’Edward Bond (Sauvés, qui marque sa rencontre avec Gérard Depardieu), de Botho Strauss (La Trilogie du revoir, Grand et Petit, Le Parc), de Peter Handke (La Chevauchée du lac de Constance avec Jeanne Moreau, Sami Frey, Michael Lonsdale, Delphine Seyrig et Gérard Depardieu ; Par les villages avec Christine Boisson et Andrzej Seweryn) et de Gregory Motton (Chutes, La Terrible Voix de Satan). Sans oublier de revenir à la Bible avec Paroles du sage dans la traduction révolutionnaire d’Henri Meschonnic avec Martial Di Fonzo Bo en 1995. Sa manière à lui de dépeindre au théâtre dans un cérémonial vertigineux l’origine du monde. Il fut aussi celui qui nous fit entendre les écritures d’une nouvelle génération avec les Norvégiens Jon Fosse et Arne Lygre, l’Ecossais David Harrower et la Britannique Sarah Kane dont la mise en scène de 4.48 avec Isabelle Huppert en 2002 reste impérissable.
L’image qu’on gardera de Claude Régy, c’est sa disponibilité à faire de chaque interview une véritable rencontre où sa joie d‘éternel enfant prenait plaisir à raconter son théâtre comme autant de bons tours alors qu’on l’approchait comme un maître. Son humour et son humilité étaient à la hauteur de l’œuvre immense accomplie.
Fabienne Arvers et Patrick Sourd
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