A Genève on parcourt, dans le sillage de l’artiste, l’histoire vibrante et vivace de six décennies de peinture abstraite. Jubilatoire.
Olivier Mosset, c’est un peu l’incarnation de la fameuse maxime pascalienne : une sphère infinie dont le centre est partout et la circonférence nulle part. A lui, l’artiste qui, au début de sa carrière, entre 1966 et 1974, peindra des cercles, et encore des cercles, la formulation plairait certainement.
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Plus prosaïquement, un constat s’impose au moment de franchir le seuil de sa grande exposition au Mamco à Genève : du peintre suisse, né en 1944, on a beau avoir très souvent rencontré des toiles et des installations, lu des textes et des interviews, entendu des épigones et des admirateurs, les expositions rétrospectives en tant que telles restent bien plus rares.
C’est que chez lui, la dissémination serait presque érigée en système, manière pour l’homme aux mille galeries de se refuser à rendre autotélique, ou transcendante, une pratique qu’il revendique matérielle, idéologique, collaborative. Son truc, c’est donc la peinture, radicale et réductionniste, qu’il a l’habitude de définir comme “de la couleur appliquée sur une toile”. En quelque six décennies de carrière, la sienne traverse en éclaireur l’histoire de son versant abstrait – répétitive, géométrique ou monochrome.
Le contemporain de son époque
Sauf qu’à Genève, pour pouvoir rentrer dans son travail, on se retrouve finalement à regarder tout autre chose que cela. Cette qualité essentielle d’être sans cesse le contemporain de son époque, la rétrospective en rend compte en organisant le parcours comme une “rétrospective collective”, où l’on croise alors, exposées en regard dans l’espace, les différentes scènes qu’il traverse.
Sur les trois étages que comporte cette carte blanche, succédant aux précédentes qui furent dévolues à John Armleder, Sylvie Fleury (ici, on retrouve les deux), Thomas Huber et Sarkis, les salles viennent tour à tour rejouer un accrochage d’époque ou une exposition marquante de la carrière de Mosset.
De Paris à New York
Les débuts sont parisiens, et l’on emboîte alors le pas au jeune Olivier qui, à 17 ans, débarque dans la ville et devient l’assistant de Jean Tinguely. Par son entremise, il rencontre les Nouveaux réalistes, se lie avec Daniel Spoerri et Alain Jouffroy, et se familiarise avec les débats de l’époque. Il commence à peindre des lettres (A ou Z), puis des cercles, et part à New York en 1967, rencontre Warhol.
Mais avant cela, avant de franchir l’Atlantique, il lui reste encore un chapitre à écrire, que l’on retient aujourd’hui sous le nom apocryphe de B.M.P.T., pour Daniel Buren, Olivier Mosset, Michel Parmentier, Niele Toroni. Soit une série de manifestations menées au cours de l’année 1967-1968 par quatre artistes désireux de déboulonner le culte bourgeois du moi expressif et singulier par une peinture neutre et répétitive.
“Olivier Mosset montre par la peinture qu’il faut regarder à côté de la peinture”
Lorsqu’Olivier Mosset arrive aux Etats-Unis en 1977, et nous au second étage, il a abandonné le motif (cercles et bandes), mais apporte avec lui une solide réputation. A New York, il va certes participer de la défense du monochrome contre la mode de l’expressionnisme en s’alliant avec Marcia Hafif, mais également participer en juin 1980 au Time Square Show au cœur du Soho dévasté des premiers films de Jim Jarmusch.
Là, dans une arrière-boutique, prit place, et c’est l’une des véritables découvertes de l’exposition, un accrochage ouvert à tous les participants et visible 24h/24, pour un programme à base d’“art, politics, sex, store, films, performance + video”. Coincés entre le “fashion lounge” et les performances, on tombait sur un monochrome noir de Mosset puis sur l’un des premiers tableaux jamais montrés de Jean-Michel Basquiat.
Ue radicalité jamais prêcheuse ni revêche
Plus loin, l’aventure new-yorkaise sera ponctuée par sa rencontre avec Steven Parrino ou Cady Noland, affirmant, si besoin en était encore, la vibe cool et punk d’une radicalité jamais prêcheuse ni revêche, qui pour ne pas s’enfermer dans ses succès, car l’avant-garde est une conquête, avance de biais, en crabe, et reste sans cesse en mouvement.
“Olivier Mosset montre par la peinture qu’il faut regarder à côté de la peinture”, résume Paul Bernard, curateur de l’exposition et conservateur au musée, devant deux de ses toiles des années 1980, emblématiques du retour aux compositions géométriques face au constat que la frontière s’est déplacée et que la peinture abstraite possède désormais une histoire, et une tradition. Le voilà, le sens de la dissémination : chez Olivier Mosset, la toile est un désert aride où rien ne prend racine, balayée par les vents et les aléas de l’histoire, mais dont l’horizon dégagé offre une vue imprenable pour qui souhaite voir vibrer la couleur.
Olivier Mosset jusqu’au 21 juin, Mamco, Genève
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