FIAC, Paris Internationale, Avant-Première : les acteurs de l’art contemporain à Paris font le point sur les nouvelles dynamiques et les lieux à ne surtout pas rater
Tous les ans à la même période, on veut de ses nouvelles. Comment se porte-t-elle ? Où aime-t-elle se montrer, sortir, et avec qui ? Sa fraîcheur et sa fougue ont-t-elle été préservées ? La scène française est une sacrée diva. Tout le monde en parle, tout le monde la cherche, mais elle, elle préfère rester secrète. Laisser courir et se faire désirer.
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La semaine de la FIAC (Foire internationale d’art contemporain) sonne chaque octobre l’heure du bilan. En général, les constats tournent mollement autour de l’autocongratulation : tout va au mieux, rien ne bouge, on adore. Ces dernières années cependant, tout s’est accéléré.
En l’espace de quelques mois, des reconfigurations en profondeur ont eu lieu, des nouveaux lieux ont apparu, des cercles d’artistes se sont formés. D’une année à l’autre, on ne sait plus où donner de la tête et la quête du dernier lieu confidentiel ressemble de plus en plus à la localisation d’une rave secrète. On fait le point.
Energies et synergies
« De plus en plus galeries et de project-spaces ouvrent en ce moment à Paris, mais ils restaient jusqu’ici confidentiels« , raconte Daniele Balice. « Pour cette raison, il nous a paru important de créer un outil qui aiderait à se repérer« . Moitié de la galerie Balice Hertling, il s’est associé à deux autres galeries, la galerie Freedman Fitzpatrick et la galerie Edouard Montassut, pour mettre en place une carte les répertoriant.
Un outil destiné à devenir pérenne, dont le lancement ce week-end prendra la forme de trois jours de vernissages et d’événements dans les espaces participants. Au total, trente-trois galeries et onze project-spaces seront intégrés à Paris Avant-Première, avec pour l’inauguration également cinq galeries invitées de Los Angeles.
Originellement implantée à Los Angeles, la galerie Freedman Fitzpatrick inaugurait en février dernier un espace format mouchoir de poche, se distinguant par une programmation ultra-pointue et ciselée sur mesure pour un espace dont les murs ont fini par sembler extensibles à loisir. « Lorsque je venais en tant qu’exposant à la FIAC, j’avais toujours beaucoup de mal à voir les expositions en galerie en ville« .
Or pour Robbie Fitzpatrick, c’est précisément l’essor d’une « nouvelle vague » portée par de toutes jeunes structures qui le poussera à s’installer à Paris. « Lorsqu’est née l’idée de consacrer un week-end à mettre en lumière cette énergie, nous avons donc pensé à celui précédant la FIAC pour que les collectionneurs étrangers de passage à Paris puissent venir plus tôt et vraiment consacrer du temps à explorer la scène locale. »
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L’hétérogénéité comme vecteur commun
A Paris, une telle boussole existe bel et bien : c’est Galeries Mode d’Emploi, le petit format poche à couverture coloré que l’on observe glissé sous le bras ou dans la poche des arpenteurs de galeries. Et pourtant, indice que l’essor en question n’est pas qu’un effet de poudre aux yeux, 90% des structures de Paris Avant-Première n’y figurent pas.
« Une nouvelle génération tente de trouver sa place dans un monde de l’art en reconfiguration constante« , continue Daniele Balice. « Les espaces que nous avons réunis, et la liste restera ouverte à de futurs candidats, ont surtout en commun l’hétérogénéité de leur public. Dans ces espaces plus expérimentaux, on croise à la fois les artistes, les curateurs et les collectionneurs« .
Parmi les espaces en question, des galeries déjà identifiées mais tournées vers la création émergente (Sultana ; PACT ; Sans Titre (2016) ; Antoine Levi ; Marcelle Alix ; Crevecoeur ou encore New Galerie), des project-spaces déjà reconnus comme des lieux de prospection cruciaux à la scène française (The Community ; Treize ; La Plage ; BONNY POON ; Shanaynay ; DOC ! ; Palette Terre ou encore Tonus).
Mais on y trouve aussi des nouvelles têtes apparues au cours de l’année (BONNY POON ; Sundogs ; Goswell Road) et des projets plus hybrides (Caro Sposo, projections de films d’artistes ; After 8 Books, librairie d’art contemporain ; Artagon, exposition-concours d’étudiants en école d’art).
Surtout, ils sont à l’indice de nouveaux lieux qui opèrent désormais depuis un lieu physique certes, mais sont souvent plus connectés à une synergie internationale qu’à un contexte local qui peine à les accueillir. Depuis 2015, Edouard Montassut a ouvert passage du Ponceau une galerie exposant à la fois des français émergents (dont Guillaume Maraud, actuellement exposé dans le cadre du 20e Prix Fondation d’Entreprise Ricard) et des artistes étrangers souvent hors des circuits de visibilité hexagonaux. Il le souligne.
« J’avoue que j’ai l’impression de venir après deux décennies d’initiatives françaises totalement et volontairement déconnectées de la scène internationale. Aujourd’hui, les artistes ne veulent plus de ces conditions, et c’est aussi la raison pour laquelle les programmations de ces nouveaux lieux sont si hétérogènes. A l’étranger, ces-derniers jouissent déjà d’une solide réputation. »
Paris, capitale de l’émergence ?
A Paris cependant, la FIAC et Paris Internationale, les deux principales foires d’art contemporain (il y a aussi Bienvenue Art Fair, Asia Now, Outsider Art Fair), se distinguent par une même volonté de participer à l’énergie du vivier d’artistes, curateurs, critiques, galeristes et acteurs du monde de l’art en général qui font la scène le reste de l’année.
Jennifer Flay, aux commandes du vaisseau amiral depuis 2003, tient à le rappeler.« La FIAC, c’est bien sûr au Grand Palais, avec les galeries sélectionnées que nous sommes ravis d’accueillir, et c’est également bien plus. Nous avons par exemple créé la Nocturne des Galeries, organisée depuis 2010 le jeudi de la semaine de la FIAC ».
« A un autre niveau, l’une des premières choses que j’ai faites en arrivant est d’ouvrir la foire à des galeries plus jeunes, et à leurs artistes, qui font sans aucun doute aujourd’hui l’une des forces de la FIAC. La création du Secteur Lafayette en 2008, qui aide financièrement les jeunes galeries à participer à la foire, l’intégration des galeries émergentes s’est encore consolidée »
« Les galeries Balice Hertling ou Freedman Fitzpatrick sont passées par là. Cette année, nous accueillons la galerie Edouard Montassut ou encore Bonny Poon, toute jeune galerie d’un an à peine hébergée au sommet d’une tour dans le XIIIe arrondissement« .
Depuis une poignée d’années, l’attrait pour l’émergence s’est renforcé. Certains collectionneurs, Jennifer Flay ne s’en cache pas, et de nombreux curateurs et critiques sans aucun doute, viennent maintenant en priorité pour le Secteur Lafayette.
Porosité, indistinction et court-circuit
Cette année, la liste surprend par ses partis pris effectivement radicaux, visant le très jeune et le très pointu. Dont huit galeries sur dix déjà aperçues dans le contexte d’une autre foire, quant à elle clairement définie par un facteur générationnel : Paris Internationale.
« Nous divergeons sur les principes, mais la FIAC et Internationale oeuvrent toutes deux à la consolidation de la place de Paris sur la carte artistique. Il y a d’ailleurs une certaine porosité entre les deux foires, puisque nous récupérons cette année la galerie Isabella Bortolozzi de Berlin qui était l’an passé à la FIAC« , explique Clément Delépine, co-directeur avec Silvia Ammon de Paris Internationale, foire fondée en 2015 par cinq galeries, quatre parisiennes (Antoine Levi ; Crevecoeur ; Sultana ; High Art) et une suisse (Gregor Staiger).
Implantée dans un lieu différent à chaque édition, la foire renoue après une incartade par les anciens bureaux bétonnés du journal Libération avec le format domestique des deux premières années.
S’il y a porosité, il y a aussi indistinction et court-circuit. Bien sûr, on ne peut que se féliciter de cette énergie venant ranimer d’entre les moribonds une scène qui, en termes de jeunesse et d’ouverture à l’international, avait eu tendance à stagner.
La crise, la mode ou la disruption ?
Si les très jeunes galeries tiennent le haut du pavé et attirent comme jamais, le nivellement entre espace commercial (la galerie au sens propre) et project-space (les espaces à but non lucratif donc, initiatives d’artistes, de curateurs, ou de collectifs mixtes) s’impose également comme la nouvelle règle du jeu. Paris Avant-Première ne distingue pas entre l’un et l’autre.
Paris Internationale invite chaque année des project-spaces à participer, jusqu’ici sur dossier et désormais via appel à projet ; le secteur Lafayette invite des espaces tellement intégrés à une certaine scène et un certain type d’espace qu’on s’étonne qu’ils aient passé le cap de la galerie – après tout, une étape logique dans la volonté de maîtriser son propre contexte d’existence.
La grande question reste : pourquoi ? La crise, la mode, un véritable changement structurel ? Sans doute un savant dosage des trois. En ce qui concerne les méga-foires dont la FIAC fait partie, le système vacille. Début octobre, Art Basel, l’impératrice des foires, annonçait changer les prix de ses stands dès la prochaine édition de 2019 et mettre en place une grille tarifaire plus favorable aux petites et moyennes galeries.
Lorsque la FIAC introduisait le secteur Lafayette en 2009, la décision était également directement corrélée à une période de crise. Mettre l’accent sur les structures émergentes permet de détourner l’attention des grosses galeries qui ont de moins en moins la cote. Et de la part des initiatives autogénérées, s’assembler est en réaction une manière de contrer la récupération. Il n’empêche : hors du panier de crabes de la semaine de la foire, la dynamique est bel et bien là, amenée à se pérenniser et à essaimer.
• Paris Avant-Première donnera le coup d’envoi avec des vernissages à travers la ville le week-end du 12 au 14 octobre. Paris Internationale aura lieu du 17 au 21 octobre dans un hôtel particulier au 16 rue Alfred de Vigny et la FIAC investira le Grand Palais du 18 au 21 octobre.
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