Créé en 2004 dans le but de célébrer les grandes heures du rock girondin, le festival bordelais n’a pas manqué d’élargir sa mission. Entre promotion des groupes locaux et célébration du genre, Bordeaux Rock vient d’achever une 15e édition remarquable.
On ne va pas vous refaire l’histoire à chaque fois. Bordeaux, ses années 1980, son rock et ses fameux groupes en « St »… Si la cité girondine repose sur un héritage important en matière de formations à guitares, les nouveaux groupes qui fleurissent régulièrement dans les caves bordelaises confirment encore et toujours sa réputation. Thoineau Palis aka Th Da Freak en est le parfait exemple.
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Un soir de janvier 2017, le jeune Bordelais se produisait au festival Bordeaux Rock, dans le cadre de la traditionnelle soirée « rock en ville ». Une petite foule était alors venue s’agglutiner dans le sous-sol du Chicho, un club anciennement situé près du marché des Capucins, pour découvrir la nouvelle sensation locale. Deux ans plus tard, après avoir sorti une poignée d’albums sur Howlin’ Banana, Th Da Freak s’est affirmé comme l’un des nouveaux héros de l’indie français.
Dimanche 27 janvier 2019, clôture de la 15e édition de Bordeaux Rock, Thoineau assure la première partie de Thurston Moore, guitariste et chanteur de Sonic Youth, devant des centaines de personnes. L’heure est à la consécration. « Jouer avec Thurston Moore ? J’ai un peu l’impression que c’est la finale de la coupe du monde« , lâchait-il, quelques heures avant de monter sur scène.
Promouvoir la scène locale
À l’origine, l’association Bordeaux Rock s’est constituée dans un devoir de mémoire. L’idée était de célébrer les groupes bordelais des années 1980 en publiant une série de compilations. La création d’un festival devait servir à marquer le coup. Années après années, l’évènement s’est développé pour fêter le rock dans son ensemble et permettre à de jeunes groupes locaux de se produire sous les voutes du quartier Saint-Michel.
« Bordeaux Rock, c’est d’anciens musiciens qui jouaient dans les caves et c’est pour que cette histoire se poursuive que nous organisons la soirée rock en ville, explique José Ruiz, ancien guitariste des Stilettos et président de Bordeaux Rock. Valoriser la scène locale fait partie de la raison d’être de notre asso. » « L’idée est de laisser la chance à des groupes de se produire et de rencontrer un public. C’est vraiment de faire jouer des premiers coups et non pas de faire jouer un groupe repéré par tout le monde », ajoute Aymeric Monségur, programmateur et coordinateur du festival.
Épiphanie rock
Comme chaque année, vingt-deux talents émergents du coin, parmi lesquels les prometteurs Cosmopaark et Courtney & The Wolves, ont été conviés jeudi 24 janvier à investir les clubs des abords de la flèche Saint-Michel. Mais Bordeaux Rock ne se résume pas à la simple promotion de nouvelles formations. Pendant cinq jours, le festival est avant tout une épiphanie rock, Bordeaux oblige. Alors pour fêter comme il se doit le 15e anniversaire de l’évènement, les organisateurs se sont montrés généreux en têtes d’affiches.
Mercredi 23 janvier, le plus célèbre bassiste de Manchester, Peter Hook, donnait même le coup d’envoi de l’édition 2019. Lors d’un concert fleuve, le Mancunien épaulé par son backing band The Lights, est allé puiser dans le catalogue de ses anciens groupes pour reprendre les compiles Substance de Joy Division et de New Order.
https://www.youtube.com/watch?v=9ZCzJRXvpCg
Lieu de fête
Fait inédit dans l’histoire du festival bordelais, Peter Hook et la majorité des autres concerts, ont été programmés cette année dans la salle des fêtes du Grand-Parc – mises à part la soirée rock en ville et l’excursion habituelle à l’Iboat, le vendredi soir, avec Tender Forever, suivie de la partie club gérée par Fixmer/McCarthy et Patrick Codenys de Front 242. Si c’est un détail pour certains, l’histoire du lieu ne pouvait qu’ajouter une valeur symbolique supplémentaire à cette 15e édition.
Scène phare du rock bordelais jusqu’au début des années 1990, la salle des fêtes du Grand-Parc est restée fermée pendant vingt-cinq ans, avant de rouvrir en juin 2018. « À l’époque, quand il y avait un groupe qui marchait un peu à Bordeaux, tu louais la salle et tu faisais un concert avec les potes et un support band. Tout le monde faisait ça, assure Richard Berthou, vice-président de Bordeaux Rock. Aujourd’hui, c’est intéressant parce qu’ils ont gardé l’esprit salle des fêtes. Tous les gens qui veulent faire des choses, assos comme tourneurs, peuvent louer la salle. Pour Bordeaux Rock, c’est hyper important parce qu’on n’avait pas vraiment d’endroit où aller. Le festival, on l’a toujours fait chez les autres, comme à l’Iboat par exemple. Maintenant, il y a un endroit où on peut travailler. Et puis le rapport scène/salle n’a pas changé, ce qui est génial. »
Medley bordelais
À la salle des fêtes du Grand-Parc, la scène s’arrête là où le public commence. Et c’est ce qui fait toute la différence. La kermesse rock du samedi ne peut qu’en témoigner. Ce soir-là, les bordelais Gordon ouvrent les festivités avec une pop dynamique, pulsée au rock sixties et nineties. Si les allées et venues du public entre la salle et les stands de bière, food et vinyles se multiplient, le lieu est déjà pas mal rempli.
S’en suivent les trois gaillards d’Astaffort Mods, sortes de Sleaford Mods du Lot-et-Garonne, dopés au Casanis. Sur fond de boîte à rythmes efficace, ils alternent les cents pas sur scène pour y déverser leurs chroniques jubilatoires sur le quotidien du bled de Francis Cabrel. Les pieds se prennent dans les câbles. La sono lâche sans prévenir. Ce n’est sans doute pas au programme mais ça a le mérite de coller parfaitement à cette farce qui vaut le détour.
Fini de rire, le bpm ralenti pour laisser place aux riffs des stoners locaux, Mars Red Sky. La voix délicate de Julien Pras prend le contrepied du rythme lourd que le trio décharge avec maîtrise. De nouvelles compositions, plus aériennes, s’ajoutent en fin de set. Au pied de la scène, quelques fans hardcore frôlent l’euphorie.
Mais il faudra attendre l’arrivée de l’inégalable King Khan, épaulé par son compère Fredovitch et les tauliers du garage bordelais Magnetix, pour que l’euphorie soit générale. Détaché de ses Shrines et de BBQ Show, le Canadien est venu promouvoir son projet LTD pour Louder Than Death, collectif punk créé avec le leader des Spits, Sean Spits. Et le nom est plus qu’évocateur.
Derrière ses futs, Aggy Sonora tabasse fort tandis que Looch Vibrato, lunettes noires de rigueur, reste maître dans l’art de la six cordes saturée. Fidèle à lui-même, King Khan s’égosille en petite tenue sous une pluie de houblon, sans oublier de prendre la pose, micro dans le calbar. Alors que les pogos s’enchaînent, le rapport scène/salle de la salle des fêtes prend tout son sens. Seuls les monologues du Canadien et autres anecdotes balancées presque à chaque début de morceaux offrent le répit nécessaire à un parterre déchaîné. Les agents de sécu, eux, semblent quelque peu dépassés par la tournure sauvage des évènements. Après les hommages à Lemmy, aux Black Panther et à Jay Reatard, King Khan balance No Brain, No Pain des Magnetix, rien de tel pour clore la soirée à la manière des caves bordelaises.
Consécration
Le lendemain, dimanche 26 janvier, Th Da Freak était donc programmé en première partie de l’une de ses références majeures, Thurston Moore. Si Bordeaux Rock avait misé sur Peter Hook pour inaugurer la 15e édition du festival, il ne pouvait rêver meilleure affiche comme soirée de clôture. Dès l’ouverture des portes, le public envahit la salle pour ne rater aucune seconde de la prestation du phénomène Th Da Freak. Thoineau et ses potes ont déjà pas mal écumé les scènes, alors si la pression se fait sentir, c’est surtout pour le fait de rencontrer le New-yorkais en personne, assure-t-il. Le reste devrait rouler.
Après deux premiers morceaux pour se mettre en chauffe, Th Da Freak sort l’artillerie lourde avec Thick Head, l’un des hits de son dernier album The Hood, et met tout le monde d’accord. Les cinq musiciens sont désormais rodés. À voir l’énergie débordante des deux guitaristes montés sur ressors, le plaisir du live est palpable. Le son, impeccable, exhibe les influences grunge, noise et shoegaze de cette bande de freak généreuse. Mais il faudra attendre le 8 mars, date de sortie de Freakenstein, dernier LP de Th da Freak, avant de pouvoir entendre ses nouvelles compos. Aucune exclu n’est prévue pour ce soir.
Jeunesse sonique
Aux alentours de 21 heures, celui que tout le monde attendait débarque sur scène. Deux ans après une prestation solo au CAPC (le musée d’art contemporain bordelais, ndlr), Thurston Moore est de retour à Bordeaux avec un nouveau projet baptisé New Noise Guitar Explorations. Accompagné de cinq musiciens (un batteur, trois guitaristes et un machiniste électronique), l’imposant New-yorkais tourne le dos au public. Thurston Moore campe le rôle de chef d’orchestre. Pour l’occasion, seules les douze cordes électriques sont tolérées – exception faite pour Debbie Googe, la bassiste de My Bloody Valentine, qui officie cette fois à la guitare.
Pendant une heure, l’ensemble interprète une pièce instrumentale construites autour de phases d’arpèges, de riffs dévastateurs, de feedback et de bruit blanc. À plusieurs reprises, le quintette explose le mur du son devant un public stupéfait. En fin de performance, Moore dédie sa composition intitulée Alice, Moki, Jayne, aux trois héroïnes du guitariste qui l’ont inspiré, à savoir les artistes Alice Coltrane, Moki Cherry et Jayne Cortez. Si Thurston Moore reste l’un des pionniers du noise, il continue d’explorer le son avec flamboyance.
À 60 ans, il prouve que la jeunesse sonique est éternelle. On pourrait en dire autant du rock bordelais jusqu’ici.
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