Fruit de l’union entre le cinéaste Alejandro Jodorowsky et de sa femme Pascale Montandon, l’artiste pascALEjandro expose une centaine de dessins à la galerie Azzedine Alaïa. Un éloge de la fusion amoureuse autant que de la contagion de la couleur.
Dans l’histoire de l’art, les couples amoureux sont des espèces rares, comme si créer main dans la main, cœur contre cœur, les chairs enchevêtrées, relevait d’un geste quasiment impossible. Travailler ou aimer, il faut choisir. Pourtant, quelques artistes ont su puiser au cœur d’une relation amoureuse, passionnelle ou simplement quotidienne, l’énergie créatrice, prouvant qu’il est possible, voire nécessaire, de créer sous condition d’un soutien affectif. A deux, une œuvre se multiplie ; à deux un geste s’affirme, dépassant les esquisses inachevées de mondes parallèles, en attente du miracle de leur gémination. Cette augmentation procède ainsi d’un amour qui l’active. Sans lui, rien ne serait possible, en dehors de quelques essais infructueux de dire le mal d’être seul.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Une connivence possible entre l’art et l’amour
Si la majorité des artistes font de leurs amours des témoins de leur propres créations plutôt que des complices actifs (à la manière de Berthe Morisot et Manet, Rodin et Camille Claudel, Frida Kahlo & Diego Rivera, Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely, Sonia et Robert Delaunay, Georgia O’Keeffe et Alfred Stieglitz, Salvador Dali et Gala…), certains réussissent ainsi à fondre les deux dans un même bain extatique. Christo et Jeanne-Claude, Bernd et Hilla Becher, Gilbert et George, les cinéastes Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, les chanteurs Lee Hazelwood et Nancy Sinatra… sont parmi tant d’autres des exemples d’une connivence possible entre l’art et l’amour.
En contemplant à la galerie Azzedine Alaïa les dessins colorés et barrés de pascALEjandro, nom né de l’union entre Pascale Montandon-Jodorowsky et Alejandro Jodorowsky, on est poussé à s’interroger sur ce mystère de l’amour qui anime l’acte créatif. Évoquant quasi exclusivement la fusion et la rencontre amoureuses, la centaine de toiles exposées sont ici le signe que l’union (des sentiments) fait la force (de l’art). Comme les deux amants le confient eux-mêmes, pascALEjandro est le nom d’une “synthèse“ autant que celui d’un “tiers“. Cette synthèse renvoie aux activités respectives de l’une – peintre, designer, créatrice de costumes et photographe – et de l’autre – cinéaste, poète, mime, scénariste de bande dessinée, alchimiste, psychomagicien. Ce tiers naît de leur fusion sur le papier. Une fusion née elle-même d’une révélation, un jour devant un jeu de tarot, spécialité du cinéaste franco-chilien qui chaque semaine s’amuse à tirer les cartes dans un bar parisien. “Ce fut comme une apparition“, aurait pu écrire Flaubert, imaginant le premier regard échangé devant ce jeu de tarot, comme le signe d’un destin partagé.
« Toi et moi étions unis avant de naître »
La répétition du “ALE“ dans leurs prénoms respectifs fut l’autre signe de leur devenir artistique ; le nom d’un artiste, “fruit de l’amour créé avec la même énergie que pour faire un enfant biologique“. La part quasi mystique et magique de leur rencontre, dont témoignent leurs dessins, s’explique par cet aveu : “ce n’est pas l’amour qui nous unit : toi et moi étions unis avant de naître“. La majorité des dessins – une centaine exposés – jouent de ce point de rencontre : un “point essentiel“ suggère l’une des plus belles images, faisant apparaître, dans la légèreté de l’air, deux êtres volants, qui s’approchent, langue tirée, comme aspirés l’un par l’autre. “Le vent de l’amour, nous deux, le commencement de la poésie, la marche contre l’absence, l’étoile promise, le messie, l’être essentiel, le cri de l’âme“…, les titres des œuvres portent par eux-mêmes les promesses de cette union, à l’image de l’oeuvre-manifeste qu’est Ré-évolution poétique.
Par-delà les signes bibliques ou mystiques, parfois opaques, qui se cachent dans certaines images, mettant en scène des Pierrots lunaires, des amants enchaînés, des enfants malicieux, des vieillards joueurs, des monstres maléfiques, des animaux magiques…, ce sont les feux de l’amour qui brûlent avant tout. Ils transpirent partout, neutralisant les forces du mal et de la mort qui rôdent un peu, quand même.
Ce qui se joue dans leur art, c’est ce qui se joue dans leur vie ; ce qui se joue dans leur vie, c’est ce que leur art transfigure et sublime. En lui offrant un cadre féerique, détaché des contingences du quotidien, suspendu au-dessus des affres du réel, raccroché aux principes fondamentaux de la relation à l’autre, aux lois de l’attraction qui la conditionnent. Entre un conte de fées et un roman épistolaire, entre un dessin d’enfant et un tableau de la maturité, entre une relique religieuse et un objet blasphématoire, les dessins de pascALEjandro oscillent continûment, sans qu’il soit toujours facile de leur conférer un sens autre que celui d’une passion mise à nu. La passion selon Saint-pascALEjandro.
Deux puissances de vie poussées l’une vers l’autre
Chaque dessin met en scène, dans le ciel ou sur terre, un face à face de deux corps comme deux forces vivantes : deux puissances de vie poussées l’une vers l’autre. Au hasard du parcours, on peut lire ces mots : “tu dis, c’est à moi, si ce n’est pas à nous, ce n’est ni à toi ni à moi, face à face toi et moi“.
Par-delà ses énigmes, l’identité fantôme de leur fusion s’affirme surtout par un geste pictural puissant : le choix vif de la couleur expressive. Le parcours dans la galerie rayonne des couleurs qui se dégagent de toutes les toiles. Cette explosion de couleurs, qui évoquent la chaleur des Nabis, des Fauves ou d’un dessinateur oublié comme Folon, irradie littéralement la salle d’exposition. Comme si l’amour célébré par cet androgyne alchimique n’avait comme autre signe d’expression possible que la manifestation d’un rêve, où tout s’enflamme dans un élan de douceur enfantine et diabolique. Les secrets d’alcôve de pascALEjandro contaminent les traits de ses représentations voluptueuses : de leur manège enchanté.
Jean-Marie Durand
pascALEjandro, l’androgyne alchimique, exposition jusqu’au 9 juillet, tous les jours de 11 à 19h, Galerie Azzedine Alaïa, 18 rue de la Verrerie, 75004
{"type":"Banniere-Basse"}