L’exposition “Dos à la mode” ne parle jamais mieux du rapport à l’image que lorsqu’elle abandonne le lien à la sculpture classique pour laisser dialoguer vêtements vernaculaire et contemporain.
Au musée Bourdelle, l’exposition hors les murs du Palais Galliera Back Side/Dos à la mode s’ouvre sur un long corridor recouvert de photos de défilés. Celles-ci proviennent toutes de l’app Vogue Runway, équivalent mode du webzine Contemporary Art Daily. Là où le premier diffuse des vues de défilés, le second fait défiler les vues d’expositions. Dans les deux cas, le constat est le même : s’il est impossible d’assister à tous les événements, il faut néanmoins être au courant.
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Ces deux sites internet, les incontournables de leur domaine parmi une nuée d’autres, le permettent. Avec cette conséquence inéluctable : d’une sculpture ou d’un vêtement, substitut ou enveloppe du corps, on ne retient qu’une seule face, la bonne. Tout se passe comme si nous vivions à plat. Frontalement et face caméra.
En retour, artistes et créateurs en tiennent compte et produisent nommément pour l’image plate. En 1950, Ad Reinhardt se fendait du bon mot suivant : « La sculpture, c’est ce dans quoi l’on se cogne lorsqu’on se recule pour regarder une peinture. » Aujourd’hui, on ne se cogne plus, ou si peu : on scrolle, on scanne.
Dialogue entre œuvres de tissu et statues de Bourdelle
A la source de l’exposition, il y avait donc ce parti pris : combler un angle mort en explorant le dos dans la mode, en regard avec les sculptures d’Antoine Bourdelle. A la suite de son maître Rodin, celui-ci sut non seulement capter le mouvement plutôt que la masse des corps, mais demeure également, par un heureux hasard, l’un des rares dont les moulages de dos des œuvres ont été conservés.
Organisé en sept sections thématiques, le parcours part de la traîne médiévale pour embrasser l’invention du dos nu au creux des années 1920-30, l’abandon du dos corseté au profit du dos émancipé, porteur de sac à dos et autres bagages griffés et, enfin, l’entrée dans les années 1980 d’un dos frappé de logos, slogans et manifestes. En plus des liens formels avec les sculptures d’Antoine Bourdelle, une partie du parcours se perçoit selon un prisme esthétique qui sape alors le travail de recontextualisation sociologique des vêtements.
Une robe du soir Balenciaga, où le dos se gonfle d’une bulle de soie sauvage, est mise en regard avec un torse de Bourdelle figurant Adam
Parmi les exemples de ces juxtapositions, une robe du soir Balenciaga (automne-hiver 1961-62), où le dos se gonfle d’une bulle de soie sauvage, est mise en regard avec un torse du sculpteur de 1889, figurant Adam comme une pelote de muscles bandés. Plus loin, c’est un tailleur-bermuda Comme des Garçons (automne-hiver 2013-2014) dont les volutes courant le long des manches évoquent les ailes de la Première Victoire d’Hannibal (1885) du sculpteur.
Ces confrontations formelles n’apportent pas grand-chose de plus qu’un « who wore it better ? » où l’on comparera le port de la même robe par deux starlettes. L’effet est plaisant, mais le cœur de l’exposition, par ailleurs finement théorisée, réside dans les parties contemporaines et vernaculaires. On quitte alors le vernis culturel éthéré pour plonger dans la culture visuelle historicisée.
Dos érotiques
Passe-Passe, la combinaison-corset dessinée par Jean Paul Gaultier dans le cadre de sa collection “Morphing” (automne-hiver 2003-2004), fermée par huit mètres et quelques de lacets doublant la colonne vertébrale, témoigne ainsi d’un dialogue interne à l’histoire du vêtement : l’invention d’un érotisme trouble jouant sur l’entrave désirée dès lors qu’elle n’est plus socialement subie.
C’est par le même Jean Paul Gaultier que se précise le potentiel pluriel et ambigu du dos, notamment au travers de sa Veste de costume (printemps-été 1992), peinte au dos d’un torse d’homme nu arborant à la poche arrière droite du jean un bandana rouge signalant aux autres cruisers sa disponibilité et ses préférences sexuelles.
C’est par le même Jean Paul Gaultier que se précise le potentiel pluriel et ambigu du dos
En faisant l’économie de la confrontation avec autrui, l’érotisme se fait davantage signe que signal, ouvert à qui voudra, à qui verra, hors de la “responsabilité éthique” qu’identifie Emmanuel Levinas dans le visage. Cette veste prend place dans la dernière salle, consacrée au “dos marque”, avec une procession de bombers, manteaux, peignoirs, parkas et maillots de foot.
En guise de point d’orgue, il y a cette ponctuation en métal doré apposée par Tom Ford lors de ses années Gucci au creux des fesses : un logo surgissant à la faveur d’un string dépassant d’un taille basse (printemps-été 1997). Celui-ci préfigure peut-être déjà le nomadisme contemporain, tout en indiquant l’un des possibles avenirs de la sculpture : prosthétique, mobile, greffée à même la peau.
Back Side/Dos à la mode jusqu’au 17 novembre, musée Bourdelle, Paris XVe
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