Ode aux membres de sa famille, le dernier spectacle de Christophe Honoré, créé à Lyon au Théâtre des Célestins, prend la route pour une tournée qui s’annonce triomphale.
C’est sur une scène que Christophe Honoré a choisi d’évoquer le projet d’un film consacré à sa famille qu’il ne s’est jamais décidé à tourner. Le Ciel de Nantes donne rendez-vous avec les figures hautes en couleur de la tribu dysfonctionnelle dans laquelle il s’est construit jusqu’à l’adolescence.
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Au prétexte de la projection de ce film imaginaire, les voici rassemblés, en présence du réalisateur incarné par le comédien Youssouf Abi-Ayad, dans le décor nostalgique de la salle d’un cinéma de quartier à l’abandon, aux fauteuils rouge délavé aussi épars que défoncés. La réunion convoque sa famille maternelle, Odette, sa grand-mère (Marlène Saldana), sa mère Marie-Do (Julien Honoré), ses oncles Jacques et Roger (Jean-Charles Clichet et Stéphane Roger), sa tante Claudie (Chiara Mastroianni). Le petit groupe est vite rejoint par Domenico Puig (Harrison Arevalo), son grand-père que le clan a banni.
Un objet fascinant et addictif
Six caractères bien trempés qui n’adhèrent pas à l’idée d’être des personnages en quête d’auteur et ne se privent pas de le dire. À mille lieux d’une réunion de doux fantômes, cette assemblée des spectres est si vivante qu’ils pourraient tous appartenir à la catégorie des esprits frappeurs. Le metteur en scène met un point d’honneur à réincarner ces représentants de la classe populaire tels qu’en eux-mêmes, bruts de décoffrage. On aime d’emblée chacun d’eux pour la simple raison qu’ils assument de n’avoir de compte à rendre à personne.
Maître de cérémonie d’un jeu de la vérité où il confronte son double à un retour sur les traces de son passé, Christophe Honoré réactive ses souvenirs pour témoigner d’une saga familiale émaillée par les drames et les accidents de la vie, en imaginant Le Ciel de Nantes comme le débrief d’une série de flashs mémoriels. Parcours de scènes fulgurantes, la pièce offre à chacun la liberté de s’ébattre dans un spectacle qui s’ancre au réel pour viser le fantasmatique.
Maîtrisant l’art d’une balance subtile alliant la justesse des performances des acteurs à des mises à distance et des plongées vers les visages qu’offrent les possibilités des images de la vidéo, il nous livre un objet scénique furieusement addictif. Le Ciel de Nantes fascine tant sa mise en œuvre se révèle d’une plasticité formelle sans limite n’ayant de cesse que de s’accorder à la justesse des émotions exprimées.
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Des scènes inoubliables
Christophe Honoré les retrouve dans la peau d’un exfiltré qui s’excuse : “J’ai fait treize films et jamais je n’ai réussi à tourner ce film-là qui racontait nos vies… ” Du réconfort de renouer avec de tendres connivences au rappel de la cruauté des jugements à l’emporte-pièce d’un temps où l’homophobie règne, chaque portrait le ramène au quotidien des enfermements de sa jeunesse. Il sait rendre inoubliable l’échappée belle d’une chanson interprétée a cappella ou l’enchaînement saisissant d’une danse flamenco que son grand-père exécute sur les accoudoirs des fauteuils après s’être lancé dans le commentaire, digne d’un direct de la télévision, d’une rencontre au stade de la Beaujoire entre l’équipe du FC Nantes et le Paris Saint-Germain. On passe du Nantes de Barbara à Spacer de Sheila, de Shake the Disease de Depeche Mode au Vanishing Act de Lou Reed interprété par Chiara Mastroianni, infiniment touchante dans le rôle de Claudie qui consacre avec brio ses premiers pas sur scène.
Moment de grâce ultime, après avoir porté l’habit de lumière des toreros, le personnage de Christophe en vient à danser un tango aux allures de calumet de la paix avec ce grand-père venu d’Espagne que tous détestent pour sa violence et ses postures autoritaires de policier macho. L’heure n’est jamais aux règlements de compte tant est palpable le bonheur d’avoir rendu cette entreprise possible, dans une pudeur à nu qui fait le prix de chacun de ses instants.
Le Ciel de Nantes, texte et mise en scène de Christophe Honoré. Avec Youssouf Abi-Ayad, Harrison Arevalo, Jean-Charles Clichet, Julien Honoré, Chiara Mastroianni, Stéphane Roger, Marlène Saldana.
Du 19 au 23 novembre, Théâtre Vidy hors les murs, Opéra de Lausanne (Suisse). Les 1er et 2 décembre, La Coursive Scène Nationale, La Rochelle. Les 8 et 9 décembre, La Filature à Mulhouse. Les 15 et 17 décembre, Comédie – CDN de Reims. Tournée en 2022 à Nantes, Douai, Poitiers, Annecy, Chambéry, Albi, Marseille et du 5 mars au 3 avril, Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris.
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