Au théâtre de La Colline, le metteur en scène québécois Denis Marleau s’approprie le texte de l’auteur Laurent Gaudé sur les attentats du 13 novembre et oppose l’humanité et la poésie à la barbarie.
Pourquoi dire l’indicible ? Pourquoi chercher à figurer, sur un plateau de théâtre, l’irreprésentable ? Les artistes ne cessent de se poser ces impossibles questions. Pour comprendre qui nous sommes. Pour surmonter le pire ; celui qui est arrivé, et celui qui arrivera encore. Au fond, le récit de Laurent Gaudé sur les attentats du 13 novembre s’inscrit dans la lignée des tragédies antiques. Parce que c’est l’essence même du théâtre. Malgré leur proximité historique, malgré les images, les sons et les témoignages qui ont accompagné ces terribles événements et qui demeurent gravés dans nos mémoires.
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Pour retracer cette nuit, ce n’est pas un hasard s’il a choisi un chœur, comme dans les tragédies grecques ; un chœur constitué par les victimes, les infirmier·ères, les policier·ères, les secouristes, les parents, les médecins qui ont traversé cette horreur, et s’en sont relevé·es. Ébranlé·es, certes, mais relevé·es quand même. Traumatisé·es, certes, mais qui ont décidé de parler d’une seule voix. À 1000 lieues du témoignage documentaire, le lauréat du Goncourt 2004 (Le Soleil des Scorta, éditions Actes Sud), oppose la poésie à la brutalité, la solidarité à la terreur ; avec humanité, sobriété et dignité. Et parions que ce remède-là est des plus pertinents.
Pour mettre en scène ces paroles, le québécois Denis Marleau (Catoblépas, Les Dix Commandements de Dorothy Dix) et sa comparse Stéphanie Jasmin ont opté pour un dispositif minimaliste. Aucune reconstitution. Pas l’ombre d’un geste réaliste. Zéro effet sensationnaliste. Mais, des comédien·nes de tous âges, qui deviennent les organes de ces abstraites figures ; qui s’attellent coûte que coûte à retisser des liens rompus ; qui ont la lourde responsabilité de rendre compte des ultimes instants des trépassé·es, de la fosse du Bataclan, en passant par les terrasses parisiennes, aux brancards des hôpitaux publics, jusqu’au Stade de France. Et un plateau sans décor, hormis ces images poétiques projetées en fond de scène, et ce sol qui lentement se dérobe sous leurs pieds pour représenter un monde que l’on croyait insubmersible, mais qui vacille.
Cette création s’inscrit dans un temps fort consacré à Laurent Gaudé, dont l’œuvre est jouée pour la première fois au théâtre de La Colline. Avec Terrasses, donnée dans le Grand Théâtre, Le Tigre bleu de l’Euphrate sera accueilli au Petit Théâtre et également mis en scène par Denis Marleau avec Stéphanie Jasmin. Un travail sous le sceau de la complicité. Laquelle devrait provoquer d’inoubliables moments de scène.
Terrasses, de Laurent Gaudé, par Denis Marleau. Du 15 mai au 9 juin, à La Colline – théâtre national, Paris.
Le Tigre bleu de l’Euphrate, de Laurent Gaudé, par Denis Marleau. Du 24 mai au 16 juin, à La Colline – théâtre national, Paris.
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