A Angers, dans l’immense hall du Théâtre Le Quai, Frédéric Bélier Garcia installe une vaste patinoire où s’ébrouent librement dans des numéros tendrement absurdes ses acteurs avant que ne débute un autre glissement spatio-temporel, au cœur de l’œuvre de Feydeau, « Chat en Poche ».
Les Bordelais… c’est si blagueur… Dans Chat en poche de Georges Feydeau, un jeune bordelais, issu comme il se doit d’une grande famille, débarque toute d’arrogance et de prétention provinciale à Paris chez le magnat du « commerce du sucre pour l’exploitation des diabétiques ! » MÔssieur Pacarel. Bourgeois Gentilhomme de son temps, il en est de tous les temps, l’homme rêve de se caraméliser la réputation en imposant à l’opéra l’œuvre de sa fille Julie par le biais d’un fameux ténor Bordelais dont il rêve de s’attacher à grands frais les services.
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Nouvelle lecture du chef d’œuvre de Feydeau
Là est le nœud de toute l’affaire. Bonhomme fat et rapide en besogne, il prend le jeune étudiant en droit pour le ténor, lui fait signer illico un contrat dodu sans que ce dernier, alléché par la somme importante qui lui est proposée, n’émette quelque objection. Et puis, après tout, il peut bien chanter…
Le quiproquo ne serait à son comble si le jeune homme bien fait de sa personne ne séduisait l’ensemble des femmes réunies, joyeusement chaperonné par la bêtise des maris aveugles et sûrs de leurs faits.
« Comment ces gens peuvent-ils une heure trente durant ne pas s’apercevoir que cet homme n’est pas du tout le ténor génial qu’ils attendaient ? » se demande Frédéric Bélier Garcia, metteur en scène de cette nouvelle lecture du chef d’œuvre de Feydeau travaillant avec un raffinement presque pervers à laisser affleurer l’idiotie de chacun des personnages.
Saillies cinglantes, redoutablement acerbes
Jouant à merveille et avec une grande liberté des codes du théâtre de boulevard, sans pour autant jamais sombrer dans la vulgarité qui généralement l’accompagne, Bélier Garcia puise dans les saillies cinglantes, redoutablement acerbes, de la langue de Feydeau, épousant son rythme vif mais lui imposant un léger décalage, une distance bienvenue pour que la pensée soit une fête.
Aussi incongru que cela puisse paraître, en ces temps de rejets et de replis qui voient sur l’Europe apparaître ici et là, de plus en plus vastes, des taches brunes, ce choix-là de répertoire, travaillant l’idiotie est tout à la fois réjouissant, apaisant et éclairant. Certes, l’ambition de Frédéric Bélier Garcia n’était certainement de monter un brûlot politique mais, artiste poreux aux affaires du monde, il sait faire jaillir le rire, comme il le dit lui même, du « mal-entendu qui, porté à un degré de démence, retrouve étrangement un portrait réaliste et comique, à la fois amoureux et critique, de qui fait notre fameuse ‘identité' ».
Hervé Pons
Jusqu’au 13 mars au Théâtre Le Quai à Angers.
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