S’emparant du scénario du film « La Maman et La Putain », Dorian Rossel réactive avec brio la parole de Jean Eustache en la confiant à un trio de jeunes comédiens irrésistibles.
Loin des démonstrations de force et des mots d’ordres définitifs de Mai 68, la révolution culturelle et sexuelle se questionne déjà dans les cafés et les appartements du quartier latin en 1973 avec la sortie du film de Jean Eustache, La Maman et La Putain. Dans le noir et blanc superbe de ses images cadrant Paris et au fil de dialogues réunissant Françoise Lebrun, Bernadette Lafont et Jean-Pierre Léaud, l’œuvre culte témoigne du hors-champ d’une prétendue libération sociétale en faisant le point sur l’irrésolu de la question de l’amour.
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En s’emparant du texte de son scénario, le metteur en scène réactualise le débat et rend leur liberté à des mots que le cinéma a inscrits dans une époque où, pas plus que Dorian Rossel, ceux qui les interprètent n’étaient encore nés. Avec une scénographie minimale, une simple estrade, quelques chaises, un électrophone et une pile de disques, Dorian Rossel nous propose d’expérimenter la manière dont cette parole peut entrer en écho avec l’idée que l’on se fait de rencontrer l’âme sœur aujourd’hui.
Un vouvoiement qui érotise la langue
L’expérience s’avère passionnante… Jean Eustache témoigne d’une précision qui bouleverse dans son usage de la langue. Prenant le contre-pied d’une société où le tutoiement est le mode de communication en vigueur, le cinéaste revendique l’emploi du » vous » pour parler de l’amour. Cette mise à distance de l’autre en tant que personne désirée le rapproche de ses illustres prédécesseurs que furent Marivaux et Beaumarchais.
Avec ce » vous » qui érotise sa langue et inscrit l’aimé dans une parenthèse qui s’affranchit des lieux communs de la pensée, Eustache se revendique d’une intemporalité qui se révèle toujours aussi juste pour qualifier l’instant. C’est de cet éternel présent dont témoigne avec élégance cette mise en scène.
Avec cette soirée où chacun se réclame du précieux de dire à l’autre sa vérité sur l’amour, Dorian Rossel et sa troupe prennent l’initiative de la remise sur le métier d’un chantier oublié pour nous rappeler à quel point il est nécessaire et vital de se préoccuper d’aimer. On ne saurait trop les en remercier.
Je me mets au milieu mais laissez-moi dormir, d’après La Maman et La Putain de Jean Eustache, adaptation et mise en scène Dorian Rossel. Théâtre du Rond-Point jusqu’au 31 janvier.
En tournée jusqu’au 27 février.
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