Mis en scène par Milo Rau et la formidable troupe d’enfants du CAMPO de Gand, “Five Easy Pieces” retrace l’affaire Dutroux à travers le regard, le jeu et les rêves d’enfants qui ne s’en laissent pas conter. Remarquable.
Une rencontre au sommet, aussi casse-gueule sur le papier que formidablement (re)tenue sur le plateau… telle est Five Easy Pieces de Milo Rau, metteur en scène suisse et fondateur en 2007 de l’IIPM – International Institute of Political Murder – et du CAMPO de Gand, une troupe d’enfants de 8 à 13 ans à qui l’on doit de mémorables souvenirs, dont Before Your Very Eyes mis en scène par Gob Squad en 2012.
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Five Easy Pieces n’était pas encore créé au Kunsten festival des arts de Bruxelles en mai dernier qu’il faisait déjà couler beaucoup d’encre dans la presse locale. S’attaquer à l’histoire de Marc Dutroux en Belgique, meurtrier de plusieurs fillettes dans les années 90, c’est déjà quelque chose. La faire jouer par des enfants, voilà qui avait de quoi défrayer la chronique.
Pourtant, au soir de la première, c’est debout que le public ovationnait la troupe des sept enfants et de leur mentor, Peter Seynaeve, dont le rôle consiste à les faire parler et à les filmer. Guide mais jamais manipulateur, c’est dans la confiance qu’ils lui font que les enfants puisent la sincérité de leur jeu et la vérité de leur présence.
Certes, Peter Seynaeve a déjà créé une pièce avec le CAMPO, Victor, un duo pour homme et garçon chorégraphié par Jan Martens. Mais dans Five Easy Pieces, il est le meneur de jeu, celui qui met en place les scènes que les enfants jouent à tour de rôle, interprétant les différents personnages de l’affaire Dutroux : son père présent au Congo lors de la décolonisation du pays, les parents d’une fillette disparue, un policier chargé de la reconstitution d’un crime ou la petite Mélissa, enfermée dans la cave de Marc Dutroux.
Sidérant de sensibilité
C’est comme si l’on assistait à un tournage dont on voit en simultané les images filmées, sauf qu’elles provoquent toujours un décalage avec le plateau. Qu’il s’agisse de scènes jouées par des adultes que les enfants reproduisent en direct ou des scènes qu’ils jouent devant nous, projetées en noir et blanc, toutes créent une distorsion temporelle qui nous rappelle que l’affaire Dutroux remonte à vingt ans, bien avant leur naissance, mais qu’ils la connaissent tous.
Autre décalage essentiel : la présentation de chaque enfant répondant aux questions de l’adulte, parlant de lui, de son rapport au théâtre, au jeu et de ses goûts. Peuvent alors s’insérer avec une stupéfiante fluidité les pas de danse de Winne Vanacker sur la musique d’Erik Satie ou le tour de chant magnifique d’Elle Lisa Tayou interprétant Imagine de John Lennon et Stay de Rihanna, accompagnée de Pepijn Loobuyck au piano et de son frère Willem à l’accordéon. Tout est juste, poignant et sidérant de sensibilité. Et osons le mot, viscéralement cathartique. La revanche du théâtre sur le réel.
Five Easy Pieces, conception, texte et mise en scène Milo Rau – IIPM/CAMPO.
Du 10 au 19 mars au théâtre de Nanterre-Amandiers. A voir aussi de Milo Rau : Empire, du 1er au 4 mars au théâtre de Nanterre-Amandiers.
A lire dans Les Inrockuptibles du 1er mars : le portrait de Milo Rau par Patrick Sourd.
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