Dirigée par le metteur en scène italien Antonio Latella, la Biennale de Teatro de Venezia présente désormais chaque année plusieurs œuvres de périodes différentes d’artistes venus des quatre coins de l’Europe.
La France était cette année quantitativement et qualitativement bien représentée à la biennale de Théâtre de Venise dont la 46e édition portait sur l’Acteur / Performeur. Vincent Thomasset, Clément Layes et Gisèle Vienne ont, de leurs esthétiques bigarrées, donné à voir la variété et la richesse de la création contemporaine française, finalement très en lien avec d’autres pratiques d’artistes européens également invités comme Davy Pieters, Jakop Ahlbom ou bien encore Simone Aughterlony qui, bien que Néo Zélandaise, vit et travaille désormais entre Berlin et Zurich.
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Queer, camp et délicieusement policière
Comme tous les artistes invités, Simone Aughterlony a présenté plusieurs de ses œuvres, la programmation de la biennale proposant des portraits d’artistes, dont UNI * FORM, une pièce performative écrite avec Jorge Leon, queer, camp et délicieusement policière, inspirée des Rainbow Cops Belgium, qui explore les relations entre autorité et question de genre, pouvoir et orientation sexuelle. Sept artistes d’âges et d’univers différents, en uniformes de police, étroitement enserrés et surveillés par le public, observés par ce dernier comme le seraient des insectes enfermés dans une boite de verre par des entomologistes, se débattent, se battent, se roulent des pelles, jouent de la matraque… Ainsi, Uni * Form traite de manière directe, provocatrice et furieusement drôle de la méfiance à l’égard de ceux qui sont au pouvoir, de la standardisation individuelle, de l’aliénation ainsi que des relations verbales et non verbales.
Une joyeuse philosophie du banal
Le chorégraphe et performeur français Clément Layes installé à Berlin pratique quant à lui avec une certaine forme d’excellence les relations verbales et non verbales avec les objets du quotidien. Poétique du corps, éternels recommencements, constructions fantasques et accumulations insolites, les spectacles de Clément Layes se laissent doucement glisser vers une joyeuse philosophie du banal, de l’ordinaire recelant son propre extra ordinaire. On est loin pourtant du jeu d’enfant même si cela pourrait être tentant de tenter de l’y associer. Car, au-delà de la joyeuse énergie créatrice, ludique, il y a dans les équilibres entre l’homme et l’objet trouvés par Clément Hayes quelque chose de l’insupportable condition humaine suspendue au fil des choses, toujours en devenir du pire, prête à tomber.
Un théâtre stroboscopique
Il y a de cette mélancolie urbaine et contemporaine dans les travaux à la croisée du théâtre et de la performance de la néerlandaise Davy Pieters qui présente à Venise deux de ses importants travaux, How Did I Died et The Unpleasant Surprise. Et c’est une grande et belle découverte. Dans un langage scénique qui pourrait évoquer celui de l’allemande Susanne Kennedy ou bien même par certains aspects celui de Gisèle Vienne, Davy Pieters décompose les mouvements de ses interprètes comme le fil narratif des histoires qu’elle raconte. Elle crée une forme de théâtre stroboscopique dans lequel tout est à la fois semblable, vraisemblable et invraisemblable. Tout est répété et rien ne l’est jamais vraiment car, dans la répétition, tout est en permanence réinventé. Ainsi, ce meurtre dans How Did I Die, toujours renouvelé, réellement perpétré ? Rien n’est certain. Questionnant la réalité, dézinguant la vérité, l’art kaléidoscopique de Davy Pieters est totalement captivant. Son dernier spectacle, The Unplesant Surprise, sera présenté au festival Actoral à Marseille à l’automne.
Ainsi, la richesse de la biennale de Théâtre de Venise réside-t-elle véritablement dans la possibilité offerte aux spectateurs de découvrir plusieurs spectacles de périodes différentes d’un même artiste permettant ainsi de suivre les voies et influences esthétiques qui ont modifié l’œuvre au fil du temps. Ou bien encore comment se précisent et se peaufinent les obsessions… Dans les théâtres qui bordent les bassins à flot de l’Arsenal revivent ainsi des œuvres que l’on souhaiteraient ne jamais être oubliées, comme l’incroyable Jerk de Gisèle Vienne toujours aussi démentiellement et magnifiquement incarné par Jonathan Capdevielle, mais aussi les très touchantes et déroutantes errances de l’auteur acteur performer metteur en scène Vincent Thomasset qui, dans Médail Décors, un spectacle de 2014, toujours souhaitant aller quelque part, se demande comment aller ailleurs et écrit du fond de sa colonie de vacance une lettre fictionnelle à ses parents dont la profonde vérité en dit long sur son auteur… Peut être serait ce une des moult affections du syndrome de Venise ?
Biennale Teatro de Venezia, jusqu’au 5 août.
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