Un hommage aux petites mains du monde de la haute couture qui dévoile les coulisses secrètes de la fabrication de la robe de mariée d’une princesse d’Angleterre.
C’est à Strasbourg que Caroline Guiela Nguyen nous invite à assister à une répétition de Lacrima, sur le plateau du TNS. La nouvelle pièce de l’autrice et metteuse en scène s’inscrit dans le milieu de la mode. Comme dans les contes, on apprend qu’une célèbre maison de haute couture de la rue Saint-Honoré a été choisie pour réaliser la robe de mariée de la princesse d’Angleterre. Nous sommes dans l’atelier, et on ne s’étonne pas de découvrir un espace où chacun·e porte la traditionnelle blouse blanche. Entre des machines à coudre, des mannequins de toile et des portants remplis d’ébauches de modèles à terminer, on découvre une équipe de couturiers et couturières qui s’affairent autour de vastes tables de travail. On répète aujourd’hui une scène où le styliste organise une réunion par internet avec la princesse pour lui présenter une première ébauche de sa robe.
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On est curieux de savoir ce qui a conduit Caroline Guiela Nguyen à s’intéresser à l’univers de la mode. “Un jour, je suis tombée dans la presse sur un article consacré à des clauses de confidentialité délirantes propres à la fabrication de la robe de Lady Di. Le but était d’empêcher que le modèle ne fuite dans la presse. Mais de là à se lancer dans la folie de réaliser une autre robe pour brouiller les pistes… L’anecdote m’a interpellée. Cette culture du secret allait jusqu’à imposer de mélanger les chutes de tissu avec celles d’autres créations pour empêcher de remonter à la source de sa fabrication.”
La question du secret
La notion de secret, omniprésente dans la haute couture, incite Caroline Guiela Nguyen à mener sa propre enquête. “Sans thématique particulière, je savais, depuis le début du projet, que j’avais envie de travailler sur la question du secret. Je pensais d’abord à des secrets de famille, ceux qui se transmettent de mère en fille et qu’on garde en soi durant des générations. Sans quitter le cheval de bataille de l’intime, j’ai élargi cette notion au monde de la mode en traitant de la nécessaire confidentialité de la fabrication et des secrets artisanaux liés à l’art de la broderie et à celui de la dentelle.”
On se souvient de ses spectacles précédents ; citons les récits bouleversants de Saïgon (2017) ou ceux de la fable de science-fiction racontés dans Fraternité, conte fantastique (2021). On se rappelle les réticences de la créatrice à résumer ces histoires qui participent des labyrinthes émotionnels de ses œuvres, il en va de même pour Lacrima. Une chose est sûre, elle aime pouvoir présenter ses pièces en ayant recours à l’évidence d’une simple phrase. “J’adore les histoires qui tiennent en un pitch… Il était une fois une princesse d’Angleterre qui voulait une robe de mariée, et l’on va suivre l’histoire de toutes les personnes autorisées à travailler et poser leurs mains sur l’ouvrage.”
Choralité
Ainsi, l’écriture de la pièce s’ancre à la croisée d’un faisceau de fictions pour former l’étoffe d’un récit choral. “L’idée de réaliser une robe pour une princesse imaginaire me permet de raconter tous les métiers par lesquels cette robe va devoir se construire. J’ai axé mes démarches sur les savoir-faire à réunir pour réussir une telle entreprise. Il était nécessaire pour moi de comprendre ce que c’est que d’être modéliste, première d’atelier, patronnier, brodeur ou dentellière.”
Caroline Guiela Nguyen s’est questionnée sur l’organisation des grandes maisons de couture. Elle s’est rendue en Normandie, berceau d’une des plus prestigieuses traditions de dentelle de la planète, pour découvrir les dernières femmes qui détiennent les secrets du métier de dentellière à Alençon. Elle a fait le voyage en Inde, pour découvrir la capitale mondiale de la broderie à Mumbai et rencontrer les hommes qui en sont les acteurs. Le sceau du secret s’impose partout, et avoir le désir d’en rendre compte rapproche le spectacle d’un théâtre-documentaire aux antipodes du clinquant des défilés de la Fashion Week.
Quant à l’explication du beau titre de Lacrima donné au spectacle, Caroline Guiela Nguyen a choisi de le puiser à l’argument d’un conte chinois ancestral. “Il ne faut jamais défaire le tissage de la soie car il contient les larmes d’une époque, et si on le défait, les larmes se redistribuent dans le présent.” Ainsi, le prétexte de la réalisation d’une robe de mariée va nous ramener aux secrets de ceux qui la réalisent et révéler les pressions et les drames qui pèsent sur les membres de l’équipe participant à l’aventure.
Lacrima, conception, texte et mise en scène de Caroline Guiela Nguyen, au gymnase du lycée Aubanel, du 1er au 11 juillet à 17 h (relâche le 5), en français, tamoul, anglais et langue des signes surtitré en anglais et en français.
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