Pour sa première exposition institutionnelle en solo, l’artiste opère un tournant dans sa pratique et explore les notions de construction de soi.
L’imbrication entre matériel médical et administratif a de quoi filer des sueurs froides. On n’imagine que trop bien la plongée forcée dans l’enfer clinique de la déshumanisation organisée. S’entendre raconter l’actuelle exposition Tarik Kiswanson à la Fondation Ricard éveille immanquablement ces images, comme si le Ridley Scott du dernier Blade Runner s’était chargé d’adapter l’essai Règles pour le parc humain de Peter Sloterdijk – les stratégies de dressage du vivant racontées sur fond de grisaille post-humaine.
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Pour sa première exposition institutionnelle en France, l’artiste a en effet installé cinq nouvelles sculptures dans la première salle, nées de l’agrégation entre des incubateurs néonataux et des modules d’archivage. Reproduits à taille réelle en inox, deux de ces incubateurs hybrides sont habités.
Décrire ne suffit guère, il faut pénétrer plus avant
A travers une vitre, on aperçoit une rose de Jéricho, aussi appelée “plante de la résurrection”, qui sous ses airs rabougris reverdit dès que vient la pluie. Et plus loin, une maquette de la Fondation juxtaposée à celle de l’appartement d’enfance de l’artiste. Même au stade de la description, on le pressent : quelque chose germe.
D’ailleurs, décrire ne suffit guère. Il faut encore pénétrer plus avant, oser mettre son corps au défi de l’espace. Des voix, alors, s’élèvent et bruissent de toutes parts. Car le cœur de l’exposition, la chaleur vitale qui l’innerve, c’est la pièce sonore qui fuse depuis quatre enceintes murales : un dialogue, lu par l’artiste et un jeune garçon nommé Vadim, exploration sensible de la mémoire et du déplacement. Désormais, l’atmosphère semble s’être réchauffée.
De quoi oser s’aventurer jusqu’à la seconde salle, entièrement vide mise à part une présence haute comme trois pommes qui s’y dresse. Moulée en bronze noir et en aluminium à partir d’un mannequin antique taille enfant, on comprend à sa vue que l’exposition dessine le cycle d’une venue au monde. Et que l’on ne pourrait être plus loin de “l’esthétique d’administration”, le qualificatif resté célèbre qu’apposait Benjamin Buchloh à l’art conceptuel des années 1960.
Pas d’autres racines que celles que l’on s’invente à soi-même
Matière de prédilection de l’artiste qui s’était fait remarquer par ses grands panneaux muraux tissés, le métal s’est troublé. Autrefois miroir, il absorbe désormais les images plutôt que de les réfléchir. L’exposition marque en effet un tournant dans la pratique de Tarik Kiswanson. Plutôt que de refléter les métissages culturels existants, les œuvres rejouent le fragile moment d’indétermination précédant la construction de soi.
Né en Suède de parents d’origine palestinienne, l’artiste porte en lui l’expérience de l’altérité radicale. Pour lui comme pour une partie grandissante de la population, le déracinement est un non-sens : il n’y a plus d’origine à laquelle retourner ; pas d’autres racines que celles que l’on s’invente à soi-même.
Avec Come, Come, Come of Age et à 30 ans à peine, Tarik Kiswanson fait résonner une voix suffisamment vibrante pour aller toucher l’humain qui se planque derrière l’identité. Cette voix n’est pas celle d’une génération ou de la migration : c’est la sienne, tout simplement.
Come, Come, Come of Age jusqu’au 21 avril à la Fondation Ricard, Paris VIIIe
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