Dans l’espace un peu raide et sec du Frac Bretagne, construit par l’architecte Odile Decq, un flux liquide s’est infiltré depuis quelques jours. Succédant aux récentes expositions du Frac Aquitaine et du centre d’art et du paysage de Vassivière sur les mondes aquatiques, un nouveau monde aquatique, déroutant et envoûtant, étranger aux images dominantes qu’on […]
Au Frac Bretagne, l’artiste local Nicolas Floc’h explore le mystère de la couleur de l’eau à travers une exposition Glaz, ouverte à diverses formes et expériences.
Dans l’espace un peu raide et sec du Frac Bretagne, construit par l’architecte Odile Decq, un flux liquide s’est infiltré depuis quelques jours. Succédant aux récentes expositions du Frac Aquitaine et du centre d’art et du paysage de Vassivière sur les mondes aquatiques, un nouveau monde aquatique, déroutant et envoûtant, étranger aux images dominantes qu’on s’en fait (ses poissons, son corail, ses couleurs vives, son monde de Nemo…), prend place dans les salles d’exposition du bâtiment à Rennes, ainsi transformé en vaste navire explorant le mystère des eaux sous-marines.
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Frac Bretagne. Crédit photo : Marc domage
Avec son exposition baptisée Glaz, mot breton désignant une couleur indéfinissable entre le vert et le bleu (celle, insaisissable, de la mer capricieuse en Bretagne), l’artiste Nicolas Floc’h prolonge un double tropisme, déployé depuis de longues années. Aspiré par la mer dès l’enfance bretonne, expert en plongée sous-marine (il a tous les permis pour vivre sous l’eau, mais aucun pour rouler sur terre), il a fait de cette attraction le nœud (marin) de son activité artistique. Moins un art aquatique qu’un art prolifique questionnant les environnements aquatiques, ses paysages, ses transformations, ses beautés fantomatiques…
Nourri par ses échanges constants avec des scientifiques travaillant sur la vie des océans, Nicolas Floc’h plonge dans les bas-fonds pour en révéler ce qu’il appelle des “structures productives“, mais aussi des “paysages productifs“, et même des “peintures productives“, soit diverses formes qui traduisent, par leur assemblage, la singularité de son travail plastique soucieux d’échapper à la fixité des horizons. A la fois sculpteur, peintre, photographe et performeur, Nicolas Floc’h trouve dans la matière aquatique suffisamment d’éléments plastiques pour les traduire dans des formes disséminées, reliées entre elles par une envie de comprendre ce qui se trame dans ce monde opaque. D’en révéler les visages enfouis pour mieux nous regarder nous-mêmes et comprendre que la vie sous-marine procède en grande partie de celle qui se déploie à ciel ouvert.
Quelle est la couleur de l’eau ?
Au Frac Bretagne, il a imaginé ainsi une sorte d’installation globale, qui propose au visiteur de suivre un parcours qui, du bas jusqu’en haut du bâtiment, le plonge progressivement dans des abysses de questions, jusqu’à l’énigme ultime : quelle est la couleur de l’eau ? Cette oscillation, à la mesure des vagues et du ressac, entre un souci documentaire, un geste esthétique et une ouverture poétique, traverse le parcours ouvert à diverses sensations, contemplatives et immersives.
Accueilli par son impressionnante “Tour pélagique“, sculpture monumentale réalisée à partir de la forme et des dimensions de la tour Eiffel (un filet de pêche présenté sur un socle dans sa version repliée, comme une masse compacte, présenté à la Biennale de Rennes en 2008), le visiteur découvre dans la galerie Nord des “villes immergées“ : un monde englouti sous les mers, représenté par 40 sculptures et 25 photographies en noir et blanc consignant la présence de récifs artificiels au fond de l’eau, notamment au Japon. A la manière de Bernd et Hilla Becher avec leurs châteaux d’eau, Nicolas Foc’h entreprend ici une sorte de répertoire typologique de ces récifs prolifiques visant à protéger et développer via un habitat durable la faune et la flore sous-marine.
Ce que donne à voir l’artiste à travers ses images architecturales, conçues selon un protocole de prise de vue précis, ce sont des structures qui prennent la forme de figures géométriques et modulaires. Au Japon, notamment, on compte près de 20 000 récifs artificiels, des vraies villes sous-marines, que l’on peut associer à des ruines inversées. Nicolas Floc’h, en travaillant avec des scientifiques, a pu répertorier 500 grands types de récifs à travers le monde, dont certains atteignent 35 mètres de haut ! A partir de ce travail d’identification des récifs, l’artiste a imaginé des sculptures en béton, après une modélisation en 3D, réalisées à une échelle réduite au 1/10ème.
L’artiste explore l’abstraction de la vie aquatique
A ces “structures productives“, s’ajoutent dans la galerie Est des magnifiques “paysages productifs“, soit des grandes photographies de visions sous-marines où la flore emportée par le flux crée des paysages sauvages, des espaces qui évoquent des forêts, des plaines, des grottes, des montagnes. A travers ces images, prises à la lumière naturelle, l’artiste explore l’abstraction de la vie aquatique saisie dans sa dimension esthétique, faisant des fonds sous-marins le décor d’un pur délire visuel, d’un monde sans critère précis d’appréciation, où chaque signe visible conditionne une rêverie poétique.
En décalage avec l’imagerie fluorescente et bariolée associée aux fonds sous-marins, ces photographies, proches de grands monochromes gris où s’incrustent des formes étranges, dégagent une puissance magnétique. Pour Nicolas Floc’h, la mer est au fond un grand monochrome, aussi bien à sa surface que dans ses fonds. Tout ce qu’il tente de faire avec ses images et ses sculptures, c’est de “pénétrer“ sa matière, sa lumière, sa couleur, indéfinie.
La dernière salle, la Galerie Sud, lui offre l’occasion de creuser ce mystère de la couleur, en proposant un espace pictural et immersif, où il s’agit de “se connecter avec l’océan“, s’y perdre un peu, se laisser emporter par les courants, comme celui du Gulf Stream, rappelé ici par un néon qui en reproduit les mouvements et les tourbillons. Pour inviter à découvrir les origines du vivant et la vraie couleur de l’eau, entre le bleu et le vert, l’artiste a voulu que les murs de l’espace immense et vide, comme un océan, sont recouverts d’un pigment bleu issu d’une cyanobactérie, appelée “algue bleue“. En errant dans la galerie, le visiteur est ainsi confronté physiquement au mystère du glaz, comme plongé dans l’impossibilité d’identifier clairement.
Entre pur effet contemplatif et poétique et souci d’élaborer une sorte de laboratoire scientifique, Nicolas Floc’h joue sur plusieurs tableaux et médiums à la fois, jusqu’à imaginer des performances (Emmanuelle Huynh, prévue le 14 novembre…). Sans dériver vers des questions aussi incongrues que la mémoire de l’eau, il explore un sujet archaïque – sa couleur, ses habitats -, en faisant du geste artistique une voie rêvée pour traduire l’épaisseur de ses faisceaux lumineux et de ses formes géométriques dissimulées. Sous le voile ténébreux de ses explorations, Nicolas Floc’h nous offre un vrai flash, maritime.
Nicolas Floc’h, Glaz, exposition au Frac Bretagne, Rennes, jusqu’au 26 novembre
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