[Spectacle annulé] L’Anglais Declan Donnellan met en scène La Tragédie du vengeur de Thomas Middleton avec une troupe italienne virevoltante. Une danse macabre où le théâtre élisabéthain prend des couleurs tarantinesques.
La première image est programmatique. Au premier plan, dix comédiens en costumes et robes de soirée se déhanchent sur le rythme endiablé d’une chanson pop aux accents sixties. Nous sommes à la cour d’un duché italien imaginaire. L’euphorie est au rendez-vous, les mines sont extatiques et les corps, en transe.
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Mais derrière eux, sur une imposante cloison de bois rouge sang, figure en lettres capitales le mot “vendetta”. Parmi les fêtards, un certain Vindice danse incognito. En moins de deux heures, ce jeune homme aux cheveux blonds gominés va intégrer la cour pour y tuer à peu près tout le monde, à commencer par le duc responsable de la mort de sa fiancée.
Des excès d’hémoglobine jubilatoires
Sous la direction de Declan Donnellan, La Tragédie du vengeur de Thomas Middleton (1580-1627) a des allures de films de Quentin Tarantino : la violence est cathartique et les excès d’hémoglobine, jubilatoires. “Au début du XVIIe, une littérature très en vogue frôlant l’horreur et le gore a inspiré des écrivains sophistiqués tels que Shakespeare et Middleton, qui en ont utilisé certains éléments et adopté de nombreux thèmes”, explique l’artiste, spécialiste du théâtre élisabéthain (l’Anglais a monté plus d’une douzaine de pièces de Shakespeare).
En s’appuyant sur ces codes, qui s’apparentent aujourd’hui au cinéma de genre, il fait apparaître des liens entre l’époque de Middleton et la nôtre. “Si l’on en croit les livres d’histoire, il ne semble pas que les choses aient beaucoup changé. Cet auteur raconte des histoires très modernes”, poursuit-il.
Au fil de l’intrigue, on découvre une élite politique accrochée à son pouvoir, insensible au ressentiment des dominés et sourde à la catastrophe imminente. Rares sont les pièces d’une telle noirceur. Hormis peut-être la sœur du protagoniste, aucun personnage ne mérite d’être sauvé.
Un embrasement parfaitement chorégraphié
La réussite de Declan Donnellan tient d’abord à sa direction d’acteurs. De toute évidence, l’alchimie entre la troupe italienne – la pièce fut créée au Piccolo Teatro de Milan en 2019 – et l’artiste britannique a bien lieu. Le patron de la compagnie Cheek by Jowl excelle surtout dans les scènes de groupe. Cette Tragédie du vengeur s’appréhende d’abord comme une magnifique danse macabre, parfaitement chorégraphiée. On garde en mémoire l’attaque en meute, telles des hyènes, des membres de la cour.
Mais la plus grande réussite tient à la transformation de Vindice, dont la colère est au départ parfaitement légitime. L’ivresse de sa passion mortifère fait de lui un monstre de moralité, testant même les faiblesses de sa mère dans l’une des scènes les plus marquantes. “Ma vengeance, je le découvre enfin, ne pourra jamais être satisfaite”, déplore-t-il, lucide, dans l’acte V. Nécessaire, l’embrasement final n’en est que plus jouissif. Ce monde-là devait disparaître.
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