Que disent les œuvres d’art contemporain ? Chaque lundi, “Les Inrocks” vous propose de découvrir une œuvre actuellement exposée ou repérée sur les réseaux. Cette semaine, focus sur « Colored sculpture », l’installation d’un jeune artiste aussi controversé que prometteur : Jordan Wolfson.
Le sourire crispé, les yeux illuminés, comme possédé par le diable, le pantin de Jordan Wolfson ravive tout de suite une image mentale réactionnaire, conservatrice et pédagogique : celle que soulèvent les fantasmes et les peurs associés à l’enfance en déshérence. La société n’aurait pas encore apprivoisé la sauvagerie et les instincts les plus primaires du jeune garçon : il en serait dérangé et – qui plus est – dangereux.
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Présentée à la galerie David Zwirner à New York en 2016, à LUMA à Arles, au Stedelijk Museum à Amsterdam, avant d’atterrir dans les collections de la Tate à Londres, cette animatronique porte en elle une violence qui – à défaut d’avoir été domptée – a été ici capturée, enchaînée et donnée en spectacle, comme jetée en pâture aux regards des visiteurs. Avec elle, le musée se meut en parc d’attraction, en arène romaine, purgeant les passions humaines sur le mode cathartique. Quelque chose de l’ordre du refoulé est de fait mis à nu et mis en cage. Tant mieux ? A la fois victime et bourreau, ce patin plus grand qu’un homme fait le jeu d’un logiciel qui active ses chaînes, soulève son corps pour le traîner sur le sol ou l’y faire s’y écraser violemment. « 5 : te toucher …13 : je t’ai tué 14 : tu es aveugle », il déblatère une liste de choses à faire.
Un monde violent, trash et nu
Hybridation entre divers personnages issus de l’entertainment américain, il est même doté d’un système de reconnaissance faciale lui permettant de fixer les spectateurs pour les prendre à témoin. Faudrait-il briser ses chaînes pour mettre fin à son supplice ? Brisons-les et il ne restera plus qu’une carcasse en résine et en métal. Mais dans ce cas, n’y a-t-il vraiment rien à craindre ?
Façonné par l’industrie de l’entertainment, ce roux terrifiant n’est qu’une image après tout, abîmée comme le serait une image fédératrice et impure traversant la culture et les réseaux. Qu’elle incarne le noyau dur de l’entertainment habile à transformer les peurs en marchandises où les résurgences réactionnaires en Amérique, l’installation installe surtout un malaise en générant des ambiguïtés, entre compassion et haine, jouissance et pitié, humanité et machine. Dans une interview donnée au Guardian ce mois-ci, l’artiste Jordan Wolfson en dit très peu sur sa pièce mais s’explique surtout à travers cette affirmation : « voici la façon dont le monde ressemble et fonctionne à mes yeux« . On imagine alors un monde froid, régi par des machines. Un monde construit grâce au pouvoir d’évocation des images et manipulant l’inconscient collectif. Un monde trash, sans chair et nu.
TATE MODERN, JORDAN WOLFSON, FROM 3 MAY 2018
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