Farah Atassi et Ulla von Brandenburg mettent en miroir leurs héritages modernistes dans une célébration des formes et des couleurs. Du pur spectacle à la fondation Pernod Ricard.
Une fois traversé un grand rideau vert et orange à l’entrée de la Fondation Pernod Ricard, une architecture abstraite se dévoile, tant spectrale que spectaculaire. Des fantômes circulent parmi les toiles de Farah Atassi et les drapés d’Ulla von Brandenburg, voire en leur cœur même. Comment ne pas être saisi par l’éclat des couleurs qui, des murs au plafond, accueillent et cueillent les visiteur·ices plongeant dans La Société des spectacles comme dans un théâtre baroque et bariolé ! Où vibre un air de Parade, ce ballet de Diaghilev, Cocteau et Picasso créé au théâtre du Châtelet en 1917. Cet espace de sensations acidulées et féériques fait rupture avec l’ordre esthétique du présent gris et aride.
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Les toiles, inspirées à la fois par le modernisme, le cubisme et l’esthétique psychédélique des années 1970, de la première dialoguaient (déjà) l’an dernier au Musée Picasso avec le peintre espagnol. Les installations, films et sculptures de la deuxième, exposés au Palais de Tokyo il y a trois ans, affirmaient déjà aussi avec délicatesse le goût de l’artifice et du mouvement. Pour justifier cette rencontre entre deux artistes en apparence éloignées l’une de l’autre, la commissaire de l’exposition Marjolaine Lévy évoque “une exaltation, une célébration du spectacle des formes qu’un rideau entrouvert nous donne à voir”. Confrontant, moins dans un dialogue que dans une mise en miroir de leurs gestes affinitaires, les œuvres de ces deux coloristes, l’exposition La société des spectacles propose “une réflexion sur l’usage de la scène, du spectacle, de l’artifice et toutes les ambiguïtés que cela soulève dans des pratiques artistiques fort différentes mais inscrites toutes deux dans un héritage moderniste.”
Célébrer le spectacle
Plutôt qu’abolir le spectacle, comme l’y invitaient dans les années 1960 Guy Debord et l’Internationale situationniste, il s’agit ici de le célébrer à la hauteur de ses promesses hypnotiques. Et de pluraliser, en somme, le spectacle indexé à la société, comme si l’on ne pouvait pas le réduire à sa seule dimension marchande. Comme si l’artifice, fût-il associé au minimalisme d’une forme, était la condition du plaisir esthétique.
Observant dans le champ de l’art actuel l’obsession du legs moderniste, Marjolaine Lévy a cherché dans cette association de deux langages (la peinture chez Atassi, l’installation chez Brandenburg) les signes d’une revitalisation de ces traces fondatrices de l’histoire de l’art, telles celles de Sonia Delaunay ou d’Oskar Schlemmer qui hantent ici le parcours. “Les deux artistes, Atassi dans l’espace pictural et von Brandenburg dans l’espace d’exposition, partagent le même projet de produire une plastique abstraite à la manière d’un langage universel s’appliquant à toutes les formes artistiques et tous les champs de la société, en cherchant à brouiller la frontière séparant l’art de la vie, dans la lignée des avant-gardes historiques”, remarque la commissaire.
Formalisme célébré
Les installations immersives d’Ulla von Brandenburg, incarnées dans des immenses rideaux couverts de motifs abstraits colorés, pensés comme à la fois des peintures et des objets scénographiques, semblent envelopper les peintures de Farah Atassi, plus encore qu’elles n’ouvrent sur elles. Rideaux et peintures, étoffes et couleurs, fusionnent ici dans une atmosphère de cabaret, où le chaos sonore fait simplement place au silence contemplatif. Trop de couleurs, cela égaye ici les spectateur·ices. “Les peintures de Farah Atassi apparaissent comme le décor des installations d’Ulla von Brandenburg, et les environnements de Von Brandenburg comme le décor des toiles d’Atassi”, estime Marjolaine Lévy. Les films, aussi, de l’artiste allemande, tels La fenêtre s’ouvre comme une orange, font écho, par l’évocation des fantômes de l’avant-garde moderniste (la poésie de Guillaume Apollinaire, les robes de Sonia Delaunay) aux danseuses et acrobates langoureuses de Farah Atassi. “Si la fable moderniste en a fait le symbole d’un parti pris anti-narratif et d’un purisme formel qui refuse le sens et la profondeur, la grille devient dans les tableaux de Farah Atassi le podium d’un formalisme célébré”, explique Marjolaine Lévy.
Le parcours parmi ces toiles et ces rideaux de scène nous suggèrent que l’ornement n’est pas un crime et que la couleur n’est pas un vice, puisqu’ils dynamitent le regard. Les feux d’artifice logés au cœur des jeux de miroirs entre les deux artistes sont le signe que rien n’abolira jamais le spectacle. Par leur délicatesse formelle, Farah Atassi et Ulla von Brandenburg s’en font ici les subtiles garantes.
La Société des spectacles, avec Farah Atassi et Ulla von Brandenburg, Fondation Pernod Ricard, jusqu’au 20 avril
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