Humour et théâtre de l’absurde irriguent l’errance de deux frères rentrés à Brazzaville après les guerres civiles dans « Au nom du père, du fils et de J.M. Weston » de Julien Mabiala Bissila.
Quand une guerre a ravagé un pays, une ville, des familles et tout le paysage mental des survivants, il y a de fortes chances de se sentir à côté de ses pompes à l’heure du retour au pays natal. Surtout quand on est un sapeur de Brazzaville et qu’on les a planquées dans la concession familiale avant de prendre la fuite durant les guerres civiles des années 90…
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Criss Niangouna et Julien Mabiala Bissila. Photo DR
L’errance géographique et métaphysique de Criss et Cross, deux frangins à la recherche d’une paire de Weston enterrée dans le jardin familial des années plus tôt, est le moteur de la pièce de Julien Mabiala Bissila, Au nom du père, du fils et de J.M. Weston. Il y a une puissante propension à l’absurde, proche du théâtre de Beckett, dans l’écriture de ce jeune auteur congolais, également acteur et metteur en scène d’un spectacle en forme de quête théâtrale qui se joue sous nos yeux. Criss et Cross ne sont d’accord sur rien, ni sur le déroulement de la représentation, ni sur le parcours qui devrait les ramener chez eux. Tout est chamboulé. Le plan de la ville et leurs souvenirs sont sens dessus dessous, tous leurs repères partis en fumée, déplacés, détournés, remodelés, rafistolés, éparpillés.
Mais ce qui est intact, c’est l’intarissable énergie de vivre, qu’elle prenne les couleurs flamboyantes de la SAPE lors de défilés impayables, ou qu’elle s’empare du langage pour mitrailler les horreurs de la guerre et réinsuffler du courage et de la résistance avec les armes de l’humour et de l’insolence. Pas une once de pathos n’entrave le dialogue entre les deux frères et leur rencontre avec Bayouss, le troisième personnage de la pièce, un vieil homme, ami de leur père et truculent passeur de mémoire : « Devant le bar ‘Tue moi ce soir et demain matin mon cadavre viendra injurier ta maman’ Comme c’est curieux, après une guerre les gens ne savent plus quel nom choisir j’ai rencontré un enfant à Bac city qui s’appelait ‘Ton père nous a abandonnés pendant cette guerre, c’est pas grave mais jure-moi mon fils que tu ne toucheras jamais aux armes car deux de tes frères en sont mort Gabriel’ c’est dingue hein Le bar…. oui, le bar, ceux qui sont dans ce bar ça fait 7 jours jour pour jour qu’ils boivent faut quand même pas déconner avec la santé… »
Plus lourd que le poids des souvenirs, pèse le futur incertain et la difficulté à le nommer. L’ironie de l’histoire, c’est l’irruption du réel à la création du spectacle. Depuis le soir de la première, le 17 novembre, il faut passer par une fouille des sacs et une détection des métaux sur le corps pour entrer dans le théâtre et écouter les acteurs évoquer les festivals qu’ils avaient écumés, du festival du rien à Jazz à la kalache dans ces temps de guerre lointaine et désormais si proche.
Au nom du père, du fils et de J.M. Weston, texte et mise en scène Julien Mabiala Bissila, jusqu’au 4 décembre au Tarmac, Paris. Tournée française de janvier à mai 2016.
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