Dans un concert théâtral radical, Roland Auzet réactualise au cours d’un dîner dynamité la figure brûlante d’Hedda Gabler.
Ce pourrait être un de ces dîners annuels dans la vaste salle de réception de la sous-préfecture de Nogent-sur-Marne, ou bien encore une soirée de baigneurs au restaurant du Grand Hôtel de Balbec, dit “l’aquarium”, où Marcel affûtait ses sens à l’ombre des jeunes filles en fleurs… Même ambiance compassée et policée lourde de non-dits et de violence sociale sur la scène du nouveau spectacle de Roland Auzet, D’habitude, on supporte l’inévitable.
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Autour de grandes tables rondes drapées de blanc, plus d’une cinquantaine de personnes dînent, occupant le centre de la scène. Parmi les convives, déambule un perchman glanant ici et là la vacuité convenue de leurs murmures. Dans un coin, à gauche, un “orchestre”, de l’autre côté du plateau, un canapé isolé sur une estrade, comme suspendu dans un autre espace-temps. La scène du crime.
https://vimeo.com/271301688
Une figure de la dramaturgie universelle
Mêlant ses mots à ceux d’Henrik Ibsen et de Falk Richter, Roland Auzet s’empare d’Hedda Gabler, l’une des figures de la dramaturgie universelle se prêtant le mieux aux appropriations obsessionnelles de metteurs en scène, comme on l’a vu en son temps avec Thomas Ostermeier. Auzet, en commandeur, invite Hedda à son dernier banquet.
Fille de général, récemment mariée à Jørgen Tesman, un homme un peu falot et aspirant pathétique à un poste de professeur à l’université, Hedda apprend, de retour de voyage de noces, qu’Ejlert Løvborg (son ancien amant, son véritable amour ?) est là, de retour, porteur d’une œuvre littéraire puissante et révolutionnaire. Jadis noceur et bohème, Løvborg semble être sous l’influence de Thea Elvsted, une ancienne camarade d’Hedda, parvenue à la sobriété et au retrait qu’exigent les plus hauts destins.
Une puissance peu commune
Héroïne malfaisante et fatale, s’érigeant en sorcière justicière, incarnant à la fois Judith, la castratrice, Médée, l’infanticide, et Lucrèce, la suicidaire, Hedda bouleverse les conventions petites-bourgeoises conservatrices et réactionnaires. Rock, punk, plurielle et métissée, la Hedda de Roland Auzet est d’hier et d’aujourd’hui, elle est vibrante et engagée, on lui donnerait aussi le bon Dieu sans confession.
Hayet Darwich qui l’interprète sait avec une puissance peu commune en révéler toutes les couleurs, accompagnée magnifiquement de la présence terrienne et droite à nulle autre pareille de Gaël Baron, son tentateur rédempteur Løvborg. Le dîner bien ordonné, entrecoupé des chants du trio LEJ (Lucie Lebrun, Elisa Paris et Juliette Saumagne), vole en éclats sous les assauts de l’héroïne sauvage en fourreau d’argent. Et on le voit sur scène, on n’est jamais aussi seule qu’entourée du plus grand nombre.
(A voir : Le trio LEJ en répétition pour la première, le 21 février à Perpignan)
Drame musical et politique, D’habitude, on supporte l’inévitable est une tentative hardie et réussie de dire à travers Hedda une certaine intemporalité de la femme, fracassant les lois inaliénables du patriarcat, s’imposant dans son entière et légitime liberté de tout temps bafouée. Supportable ou pas, l’inévitable, comme le pire, est toujours sûr.
D’habitude, on supporte l’inévitable de Roland Auzet, d’après Henrik Ibsen et Falk Richter, avec Gaël Baron, Hayet Darwich… Les 21 et 22 mars, Le Granit, Belfort. En tournée jusqu’au 15 mai
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