Incarnée avec brio par Frédérique Loliée et Marcial Di Fonzo Bo, la légende de Médée et Jason se déguste telle une bouteille lancée à la mer à l’époque de l’Allemagne de l’Est.
Même si ces quatre-là ne se sont jamais vraiment perdus de vue, on pourrait parler de reconstitution de ligue dissoute en trouvant sur la même affiche les noms du metteur en scène Matthias Langhoff, de la peintre-décoratrice Catherine Rankl et des interprètes Frédérique Loliée et Marcial Di Fonzo Bo.
On se souvient que la petite bande s’était retrouvée en 2021 pour remettre sur le métier Richard III de Shakespeare, réalisé par Matthias Langhoff en 1995. Revisiter ce spectacle devenu mythique, c’était prendre date de la première collaboration entre le metteur en scène et la scénographe et rappeler que les rôles de Richard III et Lady Anne étaient incarnés par le couple d’acteurs tout juste sorti de l’école du Théâtre national de Bretagne. Du bonheur des retrouvailles au désir d’aller plus loin ensemble est né le projet de travailler sur trois textes courts consacrés au mythe de Médée l’infanticide par l’auteur est-allemand Heiner Müller (1929-1995).
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Éclairer le chaos du présent
Les voici donc à la manœuvre dans un spectacle qui, lui aussi, ne part pas d’une feuille blanche. Du vivant de l’auteur, Matthias Langhoff s’était associé avec Manfred Karge en 1984 pour monter le triptyque. Condensé sur neuf pages, Rivage à l’abandon, Médée Matériau, Paysages avec Argonautes témoigne d’une écriture fulgurante inspirée par les énigmatiques oracles qu’on prête aux pythies de la Grèce Antique. Le metteur en scène se souvient : “Ce qui avait touché et impressionné les spectateurs berlinois était quelque chose ayant à voir avec la gravitation qui, dans le trou noir, comprime la matière de telle sorte que la lumière ne peut ni quitter ni traverser cet espace.”
Pour mettre en lumière cette étoile noire de la dramaturgie, Matthias Langhoff commence par réunir les spectateur·ices dans l’enceinte d’une exposition dédiée à l’Allemagne de l’Est. L’occasion de faire entendre une pièce radiophonique consacrée en 1984 par Heiner Goebbels à la réception de Rivage à l’abandon par le public berlinois.
Mises en mouvement dans un ballet fluide, les grandes toiles de Catherine Rankl invitent bientôt à se diriger vers un gradin pour découvrir une mise en bouche et en corps confiée à Frédérique Loliée et Marcial Di Fonzo Bo. Une performance limpide où Médée interpelle ses enfants en s’adressant à des boîtes de conserve de pâtée pour chien, où Jason raconte ses malheurs dans une barque à la dérive. Un précipité de paroles hallucinées qui éclaire le chaos du présent avec une précision digne de la plus juste des prémonitions.
Rivage à l’abandon, Médée-Matériau, Paysage avec Argonautes de Heiner Müller, mise en scène Matthias Langhoff, avec Frédéric Lolliée et Marcial Di Fonzo Bo.
Du 26 janvier au 2 février, La Commune, Centre national dramatique d’Aubervilliers, Seine-Saint-Denis.
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