La galerie Paris-Beijing à Paris expose jusqu’au 24 mars une jeune génération d’artistes trucs. Réunis autour de la notion d’espace intime, ils nous interrogent sur les possibilités de l’art en temps de crise.
Posons tout de suite le décor. Car l’essor progressiste des années 2000 en Turquie est retombé comme un soufflé. Depuis les manifestations de la place Taksim en 2013 et la tentative de coup d’Etat en 2016, le respect des droits fondamentaux recule chaque jour un peu plus, les arrestations se multiplient et la mainmise du président Recep Tayyip Erdoğan sur le pouvoir se resserre. Faudrait-il pour autant affirmer que ce climat politique délétère conditionne les artistes au point de réduire leur travail à un simple outil de contestation ? Sûrement pas. Mais il est en tout cas impossible d’en faire abstraction.
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La contestation n’est pas la bienvenue
Car il faut sans doute avoir conscience de l’amertume des artistes. L’heure est à la désillusion: on avait pu s’en rendre compte, à l’automne 2017, en rencontrant des artistes à la Biennale d’Istanbul. L’évènement avait pour ligne directrice la sphère domestique et les relations de voisinage. C’était une habile galipette orchestrée par les artistes-curateurs Elmgreen & Dragset, qui, grâce à la métaphore, exposaient des artistes abordant en sourdine des questions brûlantes, telles que les migrations, l’urbanisation, les politiques identitaires ou le genre. Et cela, sans alerter le pouvoir turc.
Ainsi, il semble bien que l’exposition Home Is Where the He(art) Is offre un prolongement en France de la Biennale, proposant des œuvres galvanisées par une série d’interrogations : qu’évoque la notion d’intimité à l’heure de la surveillance d’Etat ? Que veut dire “avoir un chez soi”, quand on est en transit, quand on est exilé de force ou non ? Quand on pense aux vagues de migrants affluant en Turquie ? Ces enjeux ne s’appliquent pas uniquement à la Turquie et aux artistes présents dans l’exposition (tous ont d’ailleurs un pied à Istanbul). C’est un sentiment qui résonne particulièrement à notre époque, avec cette « vie liquide » décrite par le sociologue Zygmunt Bauman, un sentiment partagé par les artistes internationaux, exilés volontairement ou non, posant leurs valises pour exposer leur travail ici et là.
L’art, un refuge ?
La galerie d’art serait-elle ainsi devenue le nouveau « chez soi » des artistes ? Un refuge ? Une fabrique d’utopies ? C’est en tout cas ce que propose le commissaire de l’exposition à la galerie Paris-Beijing, Yann Perreau. Une affirmation qu’il faut pourtant préciser, car l’espace d’exposition n’est pas un refuge douillet, une tentative de repli face aux bouleversements politiques ou une fabrique d’utopies irréalisables. Les artistes exposés à la galerie n’assoient pas, ici à Paris, leur bonne conscience, proclamant haut et fort et avec détachement leur mécontentement vis-à-vis du pouvoir.
La sphère intime du “ev” (“maison” en turc) est un espace de résistance et de formulation d’alternatives. Sous les néons de la galerie Paris-Beijing, on retrouvera ainsi une toile et une installation de l’artiste Halil Altindere, repéré par le passé pour sa vidéo Wonderland, tournée avec des rappeurs d’Istanbul et s’opposant à la destruction de leur quartier. Sont également exposées les broderies de Gözde Ilkin, figurant des individus atrophiés, affublés d’immenses tumeurs, évoquant l’impossibilité d’un soi unifié, leurs identités en mutation prises dans le tissu d’une histoire intime, nationale et légendaire.
Lorsque l’artiste nous parle de son travail, elle affirme sa volonté de rendre visibles les émotions instables et son attirance pour les matériaux pauvres. Son œuvre fait écho à cet « art de la survie » de l’artiste franco-monténégrine Hessie, décédée l’année dernière. Un art de la survie, donc, qui témoigne à l’instar des artistes de l’exposition, de la nécessité d’avoir un espace à soi.
« Home is where the he(art) is », une exposition sous le commissariat de Yann Perreau, avec Halil Altindere | Yesim Akdeniz | Volkan Aslan| Mehtap Baydu| Antonio Cosentino| Gözde Ilkin| Yaşam Şaşmazer | Güneş Terkol | Mehmet Ali Uysal. A la galerie Paris-Beijing, du 01 février au 24 mars 2018. Entrée gratuite.
© Gözde Ilkin, courtesy Galerie Paris-Beijing and artSümer gallery
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