En entremêlant des œuvres contemporaines à celles de surréalistes, la New Galerie met en lumière la nature incertaine des images en notre ère postinternet.
Selon le contexte, l’utopie d’un regard sans distance peut désigner soit le porno, soit l’art contemporain des années 2010. Ce degré zéro de l’image ouvrant directement sur la réalité, on en retrouvait le fantasme dans une esthétique dont la Biennale de Berlin de 2016, curatée par le collectif éditeur de DIS Magazine, aura marqué à la fois l’ultime institutionnalisation en même temps qu’elle en aura entériné la clôture.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Désormais, les jeunes artistes assimilés à la mouvance postinternet, car c’est d’elle qu’il s’agit, poursuivent chacun leur carrière solo. Le groupe a éclaté, l’histoire se charge d’en recueillir les fragments. Passé l’euphorie de la fête, le silence revient ; et avec lui, l’introspection.
Un revirement qu’incarne admirablement l’exposition What’s Up Doc? à la New Galerie, véritable sismographe d’une période de transition. Investissant les murs de la galerie qui, en France, a été l’une des premières à exposer cette famille d’artistes, les deux curateurs Pierre-Alexandre Mateos et Charles Teyssou s’attèlent à en exhumer la part maudite.Une maison hantée peuplée de cadavres
Ainsi leur “tentative de dépecer les murs de la rue Borda et d’en révéler les organes internes” articule-t-elle les œuvres d’artistes représentés par la galerie à leurs prolongements pulsionnels. S’engage alors un dialogue entre les premiers (Darja Bajagic, Dora Budor, Cédric Fargues, Sean Raspet, Jasper Spicero ou Artie Vierkant) et les grands maîtres du surréalisme (Hans Bellmer, Claude Cahun, Max Ernst ou Meret Oppenheim), tandis que des snipers solitaires viennent ici et là trouer ce qu’une confrontation symétrique de deux générations pourrait avoir de tranquillement dialectique – parmi eux, Michael Salerno, Mark Prent, Adam Gordon et surtout l’écrivain Peter Sotos, dont les archives sont exposées pour la première fois.
On peut dès lors répéter après Freud : le moi n’est pas maître en sa propre maison. Cette maison est hantée, ses placards regorgent de cadavres et le refoulé de la modernité airbrushée suinte des murs. “Nous ne souhaitons rien moins que de signer le premier show de critique institutionnelle psychologique”, clament de leur côté les curateurs.
Formellement, la méthode porte ses fruits : dans l’espace s’articulent harmonieusement les œuvres, dont la diversité indique qu’elles ont été réunies en raison d’une parenté plus profonde que les simples liens esthétiques ou affinités générationnelles – c’est suffisamment rare pour le souligner.
Pulsion de mort et affres de l’inconscient
Voisinent alors les collages (Michael Salerno, une découverte ; Max Ernst) et les expérimentations chimiques olfactives (Sean Raspet, qui permet au visiteur d’inhaler l’odeur d’une sonnerie de téléphone fantôme) ; les toiles abstraites néocinétiques (Li Shurui) et les corps démembrés (le pendu de Mark Prent ; la table de dissection de Jasper Spicero).
L’une des plus belles pièces de l’exposition est sans doute la plus ténue, témoignant de ce que la pulsion de mort et les affres de l’inconscient n’ont pas besoin de s’incarner par de grands gestes expressifs. Avec Plastic Universal (2017), Artie Vierkant, connu pour être l’un des coauteurs du manifeste postinternet, inscrit à fleur de miroir les aphorismes de l’incertitude de la civilisation de l’image, qui se balancent en impression vidéo, suspendus à la pointe d’un pendule.
“Vous rêvez d’un éveil des consciences par le réseau/Une image/Qui saurait changer le peuple/Vous n’êtes pas sûr qu’il soit vrai qu’une image puisse créer une idée/Ni comment elle pourrait le faire/Mais c’est ce qu’on vous a appris toute votre vie/Qu’elle demeure une porte ouverte sur la collectivité.” Ingrid Luquet‑Gad
What’s Up Doc? Jusqu’au 16 décembre, New Galerie, Paris IIIe
{"type":"Banniere-Basse"}