Dans un décor de croisière frivole, le compositeur Philippe Manoury réunit théâtre et opéra pour dénoncer la situation des migrants abandonnés en mer Méditerranée.
Est-il besoin de rappeler que l’Aquarius, le navire humanitaire affrété par les organisations SOS Méditerranée et Médecins sans frontières, a été à l’origine du sauvetage en mer de trente mille personnes depuis 2016 avant que la perte de son pavillon ne l’oblige à interrompre ses missions en décembre 2018 ?
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Comment réagir en artiste à ce nouvel exemple de la gestion scandaleuse par l’Europe d’une crise qui transforme en cimetière les flots de la Méditerranée ? Désireux de rendre hommage à l’action menée par l’équipage de l’Aquarius, le compositeur Philippe Manoury leur dédie Lab.Oratorium, le dernier volet d’une trilogie créée à la Philharmonie de Cologne.
Après In situ (2013), où il revisitait l’écriture symphonique, et Ring (2016), où sa partition se déployait à travers un ensemble de soli, Philippe Manoury délaisse aujourd’hui le terrain de la quête purement musicale pour faire passer un message à travers la musique, le théâtre, l’opéra et interpeller le public sur le sujet de la question migratoire.
C’est sous la direction musicale du chef François-Xavier Roth et dans la mise en scène de Nicolas Stemann que l’on découvre le spectacle dans l’enceinte circulaire de la Philharmonie de Cologne, offrant pour l’occasion l’image du salon d’apparat d’un navire de croisière où spectateurs et orchestre sont réunis pour une soirée de gala.
Cocktails et grillades
Avec la frivolité assumée d’un couple de chauffeurs de salle, les comédiens Patrycia Ziolkowska et Sebastian Rudolph commencent par vanter les mérites des cocktails et des grillades de l’Ocean’s, le restaurant de poissons du bord. Volontairement provocatrice, l’attitude du duo qui fredonne en cœur Stayin’ Alive des Bee Gees et se réjouit d’un air de mambo revisité par l’orchestre symphonique va bientôt changer de ton.
Une manière de nous saisir à froid quand il s’agit pour eux d’évoquer les témoignages de réfugiés rescapés d’un naufrage et d’interpréter des fragments de Die Schutzbefohlenen (« les protégés », 2013), la pièce où Elfriede Jelinek met son aura de Prix Nobel de littérature au service de la cause des réfugiés.
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Incarnées par la soprano Rinnat Moriah et la mezzo-soprano Tora Augestad, les voix de l’opéra replacent l’œuvre en regard de notre histoire contemporaine dans un fil rouge poétique la traversant de part en part.
La mise en musique de l’ultime poème de Georg Trakl (1887-1914) et une sélection de poésies consacrées à l’exil par Ingeborg Bachmann (1926-1973) nous conduisent jusqu’à ces vers d’Hannah Arendt (1906-1975) qui ferment le ban d’un bouleversant “Heureux celui qui n’a pas de patrie, il la voit encore dans ses rêves”.
Conscients qu’une dénonciation sur scène n’est rien au regard des tragédies qui se jouent toujours en pleine mer, Philippe Manoury et son équipe proposent une rencontre avec les sauveteurs de l’Aquarius à l’issue de la représentation.
Lab.Oratorium de Philippe Manoury, direction musicale François-Xavier Roth, mise en scène Nicolas Stemann. Le 3 juin, en allemand surtitré français, Philharmonie de Paris, Paris XIXe, dans le cadre du festival ManiFeste de l’Ircam, du 1er au 29 juin
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