Après avoir dirigé la scène nationale du Manège de Reims pendant 15 ans, la chorégraphe Stéphanie Aubin est à la tête de la Maison des Métallos depuis janvier 2019. Le projet qu’elle y insuffle se crée de mois en mois en collaboration avec les artistes invités. Une expérience singulière qui prend acte des bouleversements profonds du monde et veut prendre sa part dans les transitions aptes à façonner un avenir durable. Rencontre.
Qu’est-ce qui t’a amenée à élaborer ce projet pour la Maison des Métallos qui entend “bousculer nos propres façons de faire en imaginant de nouveaux modes de collaborations entre des artistes, un territoire et un théâtre” ?
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Stéphanie Aubin – Lorsque je dirigeais le Manège de Reims et qu’on voulait, avec Bénédicte Picot qui était secrétaire générale et directrice adjointe, programmer des formes qui nous intéressaient beaucoup et qui généraient des relations d’une autre nature avec les gens, il nous fallait inventer la manière de les présenter. C’était soit dans le cadre d’un festival, ou lors des Dimanches des curiosités et des Grands Soirs. Pour éviter de se poser la question : est-ce ou pas un spectacle, comment faire la billetterie ? C’est vraiment parti de ce désir de tendre la main aux artistes d’une autre façon et par d’autres moyens que le format spectacle, et de retrouver cette liberté de créer l’espace qui va nous permettre d’inventer d’autres protocoles.
Est-ce cela qui a motivé ton envie de diriger la Maison des Métallos ou est-ce parce que ce lieu est différent dans ses enjeux d’une scène nationale ?
C’est plurifactoriel. Il y a certes ce désir que j’avais d’aller plus loin, de poursuivre autrement ce que j’avais engagé à Reims. A l’aune d’un certain nombre de constats que j’avais pu faire, j’ai eu du temps pour m’intéresser aux tiers-lieux [les tiers-lieux sont destinés à être des espaces physiques ou virtuels de rencontres entre personnes et compétences variées qui n’ont pas forcément vocation à se croiser, ndlr], pour voir d’autres initiatives souvent portées par des plus jeunes que moi et, le plus souvent, dans une perspective environnementale. Il s’agit de remettre en question nos modèles, nos modalités de socialisation et la dépendance à l’argent public.
Bien qu’ici, j’ai la chance d’avoir le soutien de la Ville de Paris, mon projet sera de co-construire avec d’autres partenaires privés que l’on dit responsables, un intérêt pour l’art qui se manifesterait aussi par un soutien financier. Il faut que ces entreprises soient concernées par la question de l’intérêt général, qu’elles se rendent compte qu’elles ont pu avoir un impact négatif à l’endroit des ressources, de l’environnement et même de l’humain. C’est le moment de devenir positif ! Grâce à ces jeunes générations, j’ai exploré d’autres façons de faire qui m’ont amenée à modifier mon positionnement.
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Comment as-tu bâti ce projet ?
Ce changement de posture dont je parle concerne aussi le rapport au public, aux artistes et à nos parties prenantes (les partenaires, le quartier, tous ceux qu’on impacte par notre action). On souhaite s’inscrire dans une relation plus horizontale avec les usagers de la Maison des Métallos, et on commence par installer une horizontalité en interne et avec les artistes. Ça ne se décrète pas, ça se vit. Par des effets conjugués entre professionnalisation très forte des lieux, contraintes administratives et juridiques, une économie de plus en plus concurrentielle, on est arrivés à une sorte de désaffiliation des artistes avec leurs outils.
Quand j’étais à la SACD, j’ai inventé le programme Duo(s) en 2017 pour inciter chorégraphes et directeurs à construire ensemble une programmation. Avec les artistes invités à la Maison des Métallos, on co-construit toute l’activité du mois. C’est ce qu’on appelle les CoOP, coopératives artistiques.
Après Martine Pisani et Johann Le Guillerm cet automne, c’est Frédéric Ferrer qui est invité en décembre. Si leurs esthétiques diffèrent, qu’est-ce qui les rassemble ?
Ils sont très différents, mais je m’adresse à des artistes qui ont besoin d’un dialogue avec le monde pour trouver les ressorts, le désir de créer. Ce qui s’est révélé, c’est qu’ils ont tous quelque chose d’hybride. L’art est une ressource pour aider à pivoter, à réinventer. Les artistes des Coop travaillent dans le mouvement, dans une pensée dynamique, transformatrice du monde. Je leur propose de venir s’installer pendant un mois. Ils ont une enveloppe budgétaire précise et on part de ce qu’ils veulent explorer, sachant que ce qui compte pour nous, c’est d’être porteur d’un contexte et d’aiguiser chez eux le désir de la relation, avec le quartier, les gens.
On est un lieu qui s’intéresse à l’environnement. Le plus important quand je choisis les artistes, c’est d’identifier dans leur démarche ce qui peut servir à faire levier pour accélérer ou aider aux transitions. Ils peuvent ne pas être engagés à cet endroit-là ou l’être complètement comme Frédéric Ferrer qui ne parle que de ça. En plus de leurs propositions, je fais le raccord avec lors des soirées Questions avec des choses plus théoriques, des cogitations.
Tu as également mis en place des co-CoOP. De quoi s’agit-il ?
Elles parlent de la nécessité de faire notre propre transition par rapport à notre secteur culturel. On interroge nos propres économies humaines et financières. Avec les co-CoOP, on dit qu’il n’y a pas trop d’artistes, mais qu’il y a trop de créations par rapport aux capacités de diffusion. Dans les autres secteurs que le culturel, la surproduction crée des drames. Nous, on essaye d’inventer une écologie de la relation.
On assume le fait qu’on ne peut pas aider tous les artistes qu’on devrait aider, mais il y a un appel à projets sur le site où les artistes peuvent choisir la CoOP avec laquelle ils aimeraient cohabiter. On leur propose de se poser pendant un mois dans un environnement stimulant, avec des espaces de réunion, une salle à disposition. Cela s’adresse à ceux qui sont dans une phase de recherche, d’expérimentation, parce qu’on ne peut pas accompagner la phase de production, mais l’équipe des Métallos – administration, communication, l’équipe artistique de la CoOP en place à ce moment-là s’ils ont le temps – est à leur disposition pendant une dizaine d’heures dans le mois.
Propos recueillis par Fabienne Arvers
CoOP de Frédéric Ferrer, compagnie Vertical Détour en décembre : On s’effondre ou pas ? à la Maison des Métallos.
Borderline(s) investigation #1, spectacle du 11 au 14 décembre.
Fais ta conférence tout seul, atelier libre, du 6 au 21 décembre, entrée libre.
Bureau de la Cartothèque, atelier, 11,13,18 décembre, 17h 18h. 21 décembre, 15h 17h.
L’Atlas de l’anthropocène, spectacles-conférences, Les déterritorialisations du vecteur le 12 décembre à 19h, Pôle Nord le 18 décembre à 20h, De la morue le 19 décembre à 19h, WOW ! le 21 décembre.
Balade géographique, le 15 décembre de 11h à 13h.
Le grand bazar des Transitions, jeu collectif, le 15 décembre de 15h à 17h.
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