En pleine semaine de l’art contemporain, le Centre Pompidou s’est mis en grève. Un mouvement social pour dénoncer les conditions de plus en plus précaires des travailleur·ses de l’art.
Lundi 16 octobre, le Centre Pompidou s’est mis en grève. Si, au moment d’écrire ces lignes, aucun communiqué de la part des personnes concernées n’a été diffusé, il est certain que le coup a été prévu de longue date. Il faut dire que le moment est éminemment symbolique : il marque le début de la semaine des foires, Paris+ par Art Basel ou Paris Internationale notamment.
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Un marqueur annuel, autour duquel gravitent également les ouvertures des expositions les plus importantes en institutions publiques ou privées. Une grande partie du monde de l’art met le cap, IRL ou URL, sur Paris. Et donc, la grève. Ce lundi, elle aura bloqué l’annonce du prix Marcel-Duchamp, décerné à l’un·e des quatre nominé·es actuellement exposé·es au musée en Galerie 4 (Bertille Bak, Bouchra Khalili, Tarik Kiswanson, Massinissa Selmani). On pressent le mouvement social raviver la gronde des retraites du printemps, en l’alimentant certainement de l’huile crépitante d’une précarisation exponentielle des travailleur·ses de l’art.
Luttes sociales et art contemporain
Ces revendications positionnent l’écosystème de l’art comme une partie d’une société plus vaste, moins globale et mobile certainement que l’élite voyageuse – et ses nepo babies plus si caché·es – des foires d’art. La considération pour ces travailleur·ses-là, ces corps-là n’empêche pas de se poser aussi, et en même temps, la question de ce que cette grève, et la grève en général, veut dire pour l’art. Il semble presque cynique de le dire, reste que : les périodes de luttes sociales coïncident presque toujours avec des moments d’ébullition artistique.
On en veut pour preuve les avant-gardes historiques des années 1920-1930, dada ou le constructivisme russe, le situationnisme en France durant Mai 1968 ou, plus récemment, la critique institutionnelle mise à mort par Occupy Wall Street puis la période post-dadaïste d’une nouvelle avant-garde digitale autour du post-internet.
Strike
Voilà pour les grands mouvements. Mais les voix plus isolées, souvent d’autant plus radicales qu’elles demeuraient relativement individuelles, sont peut-être celles qui donnent le plus à réfléchir sur les imbrications entre monde de l’art et monde tout court, sur le travail dans l’art, sur la représentation et l’action, et le pouvoir des symboles, images, messages. Alors, on filera immédiatement – ou, en cas de grève, dès la réouverture – s’immerger dans l’immense exposition de la trop rare Lee Lozano (1930-1999), une quasi-inconnue en France. Sa première exposition monographique est organisée à la Bourse de Commerce – Pinault Collection et s’intitule… Strike, c’est-à-dire “grève”. Celle qui quittera le monde de l’art en 1972, après une brève période de production d’une dizaine d’années (dessins, peintures, protocoles conceptuels), aura précisément arpenté l’intervalle : critiquer de l’intérieur, puis se retirer.
Cynisme de la retrouver dans une fondation privée ? Paradoxalement, la friction ainsi produite rend précisément son œuvre électrique. À condition de conserver son esprit critique, et de considérer que l’art n’est pas affaire de contemplation mais qu’il peut devenir une arme ou un outil pour réinterroger les conditions matérielles qui ne connaissent pas de barrières symboliques – comme ces vis et marteaux que Lee Lozano aimait tant peindre.
Édito initialement paru dans la newsletter Art du 17 octobre. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !
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