Tirés d’images contemporaines, people, porno ou guerrières, les tableaux presque classiques de Johannes Kahrs conjuguent morbidité et érotisme, pour un résultat à la fois étrange et familier.
Il manque Prince et Bowie dans la galerie de portraits qui ouvre l’exposition de Johannes Kahrs au Plateau. Mais ce n’est sans doute pas un hasard si ces deux-là, étoilés pour l’éternité au sommet de leur gloire, n’ont pas trouvé grâce aux yeux du peintre allemand. Car le panthéon de Kahrs ne compte que des icônes déchues, montées très haut, descendues très bas, pas toujours dans ce sens-là.
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Dans le désordre s’alignent donc, sur les cimaises du Frac, Michael Jackson, dont le visage de cire est un programme à lui seul pour n’importe quel peintre ; Amy Winehouse, auréolée de la même chevelure noire que son voisin, mais la face maculée d’une matière visqueuse équivoque, et encore Bill Cosby, première vedette noire de la télévision américaine, épinglé comme un pape de Francis Bacon, et dont la réputation est entachée par des accusations d’agressions sexuelles.
Sublime portrait en noir et blanc, laiteux et acnéique
Dans ce cimetière miniature où se serrent vivants et morts, et même des morts vivants, c’est finalement le plus candide d’entre tous, le plus jeune aussi, Justin Bieber, dans un sublime portrait en noir et blanc, laiteux et acnéique, qui s’en sort le mieux. Hagard, sous les feux des projecteurs lors de son arrestation en 2014, il tient la pose sans fléchir en attendant que le vent tourne.
Deux ans plus tard, dans son édition de février 2016, le très pointu magazine Artforum consacrera deux pages à son album Purpose. Et donnera ainsi raison au flegmatique Justin Bieber, conscient plus que d’autres des aléas du curseur et de la versatilité de notre époque.
Contours cotonneux et à la technicité indéniable
Johannes Kahrs, lui, ne fait aucune concession. Très loin du cynisme contemporain tout en collant parfaitement à l’imagerie qui est la nôtre aujourd’hui (stars, politiques, images de guerre ou pornographiques d’abord prélevées et parfois rephotographiées sur le net ou dans la presse), le peintre allemand défend une certaine forme de classicisme.
L’exposition épuise d’ailleurs tous les genres picturaux : le portrait donc, mais aussi la nature morte, le nu et le paysage. Et si l’on a déjà cité Francis Bacon pour la façon dont Kahrs écrase certains de ses sujets en bas de la toile, la technique du sfumato, chère aux peintres de la Renaissance comme à son compatriote Gerhard Richter, caractérise également sa peinture estompée, aux contours cotonneux et à la technicité indéniable.
Décalquée d’une photographie ratée
Ce qui ne l’empêche pas de jouer avec la grammaire picturale, le cadre, le châssis, confrontant dans la dernière salle deux toiles issues du même fil narratif, mais dans un léger décalage qui renforce encore l’incongruité de la scène (un jeune homme assommé par un parapluie dans une scène où se conjuguent érotisme et burlesque) ou zoomant ailleurs, à même l’image, pour laisser apparaître une bande de toile nue.
Une autre peinture, présentée en deux versions quasi jumelles, semble décalquée d’une photographie ratée, avec son palmier mauve au soleil couchant, sa prise de vue à contre-jour et surtout cette tête qui se dessine au premier plan. Pour la petite histoire, Johannes Kahrs a d’abord voulu travailler à partir d’une photographie de l’Américain Jack Pierson. En la projetant sur le mur de son atelier pour la rephotographier, il est passé par hasard devant le projecteur et a ainsi découvert sa propre silhouette au premier plan. A ce moment, il a su qu’il tenait son image.
Extasiée et comme écrasée derrière un miroir invisible
Car il y a des accidents dans la peinture voyeuriste de Johannes Kahrs, des contingences liées à la traque qu’il préfère apprivoiser pour les transformer en atouts. Des surprises, mais aussi une très grande précision qui le conduit à opérer des coupes chirurgicales dans ces images de départ (comme dans ces deux peintures à l’horizontale où un corps masculin émasculé a été coupé à hauteur de torse), ou à peindre en plan rapproché une jeune femme rousse, extasiée et comme écrasée derrière un miroir invisible
Les traits tirés, la bouche entrouverte, les paupières bleutées et le menton rentré semblent nous indiquer que le modèle est couché, peut-être attaché, son visage comme le détail en gros plan d’une de ces scènes de bondage où les proies oscillent entre souffrance et orgasme. Ici, comme dans la plupart des peintures de Johannes Kahrs, le morbide et l’érotisme font bon ménage. “De l’érotisme, il est possible de dire qu’il est l’approbation de la vie jusque dans la mort”, écrivait Bataille. Claire Moulène
Then, Maybe, the Explosion of a Star jusqu’au 24 juillet au Plateau, Frac Ile-de-France, Paris XIXe, fraciledefrance.com
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