Sur le plateau, il a convié des non-voyants et des grands brûlés. Délaissant les fausses prophéties mozartiennes, Romeo Castellucci transform l’opéra en performance ultime.
Pour certains, l’écoute d’un opéra de Mozart tient de la dégustation, comme lorsqu’on trempe avec recueillement ses lèvres dans une tasse pour se réjouir des fumets crémeux d’un fameux chocolat chaud viennois. Commençant par inscrire La Flûte enchantée dans la préciosité d’un monde immaculé qui rappelle la blancheur des camées ornant les services en porcelaine, Romeo Castellucci s’explique :
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“Je veux assumer la potion mozartienne et la porter à son effet maximum. L’agitation d’un palais du XVIIIe siècle. L’ornement, le divertissement populaire.” Donnant le change à l’image d’Epinal le temps du premier acte avant de bousculer les règles de la représentation, l’artiste questionne la valeur d’exemple d’un opéra connu pour les épreuves initiatiques imposées par un grand prêtre, Sarastro, en dénonçant l’invention obscène “de mondes de lumière si invraisemblables qu’ils en sont radioactifs”.
En saisissant l’occasion de confronter Mozart au réel, le metteur en scène tombe le masque de l’apparat pour les murs lisses d’un plateau qui évoque les salles sans joie où se retrouvent les groupes de parole. Voilà l’opéra inscrit dans la violence d’une performance interrogeant un monde du présent où il serait d’abord question de compassion, face à la violence des épreuves auxquelles certains d’entre nous sont soumis.
L’irruption des vies réelles
“Au deuxième acte, détaille Romeo Castellucci, j’ai demandé la participation de dix personnes de courage, dont les biographies désavouent la trame idéologique de La Flûte.” Des vies réelles font irruption dans le palais de Sarastro et suspendent les effets magiques de son pouvoir.
En interrompant le déroulé d’un rite dédié au mythe d’un feu tout-puissant apte à illuminer les consciences, l’artiste sape l’épine dorsale du récit et appelle à la barre de son spectacle celles qui ne voient plus la lumière et ceux que les flammes ont blessés à jamais. Cinq femmes aveugles et cinq grands brûlés dont les récits agissent sur nous comme des révélateurs de l’injustice propre aux existences terrestres.
Mozart, source de vérité
Loin de l’acte d’un démiurge, la posture choisie s’ancre d’abord dans une mise à nu d’une extrême sincérité quand il ajoute : “C’est moi à présent, un visage dans la foule, qui interroge Mozart sur le sens de ma personne – moi, spectateur – dans sa demeure. Qu’est-ce que je signifie, moi, dans La Flûte enchantée ? Que signifie la présence d’une femme née aveugle face à la voix de la Reine de la nuit ?
Et que signifie, pour un grand brûlé, de se trouver en présence de Sarastro, dont le principe de lumière lui a arraché la peau, tout en étant enveloppé dans la sphère de lumière qui a incendié sa maison ?” Mozart devient alors source de vérité, de colère et de larmes.
La Flûte enchantée ou le Chant de la mère de Mozart, direction musicale Eivind Gullberg Jensen, mise en scène Romeo Castellucci. Du 30 avril au 18 mai, Opéra de Lille
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