Comme tout événement, Mai 68 a ses icônes. A la BnF, une expo décrypte ce phénomène.
Des souvenirs enfouis de mai-juin 1968, deux images s’imposent aujourd’hui par leur puissance d’évocation : le portrait de Daniel Cohn-Bendit face à un policier par Gilles Caron et la “Marianne de 68” de Jean-Pierre Rey. Deux personnifications accomplies d’une révolte.
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Ces photos sont devenues des clichés, au sens où la mémoire visuelle partagée s’est laissé aspirer par elles au détriment d’autres (de Bruno Barbey, Janine Niépce, Claude Dityvon, Georges Melet, Jacques Windenberger, Jean Pottier…). Mais pourquoi sont-elles devenues des clichés aussi communs ? Par quel mécanisme ce phénomène “d’iconisation” s’est-il construit ?
Par-delà le mystère, rarement élucidé, de la transformation d’une image en fétiche, l’exposition de la BnF, Icônes de Mai 68 – Les images ont une histoire, suggère des pistes grâce à un travail d’enquête mené par Audrey Leblanc et Dominique Versavel. En s’appuyant sur un corpus imposant d’images de l’époque, les commissaires mettent en lumière la fabrique d’une image iconique à partir de l’étude de ses usages dans la presse.
https://www.youtube.com/watch?v=Lj0U43th72s
Les images de Caron et Rey ne furent guère mises en avant dans les journaux à l’époque. Ce n’est qu’à la fin des années 1970, puis au cours des décennies suivantes, que les photos sont devenues des symboles, au point que le cadre de la “Marianne” fut progressivement resserré afin de renforcer son statut d’allégorie.
Une mémoire indexée en noir et blanc
Cette fétichisation procède donc d’un récit élaboré au fil du temps par les milieux du photojournalisme et de l’édition, déterminant les cadres d’une mémoire visuelle dépendante de ceux qui en maîtrisent les flux. Plus globalement, l’exposition interroge les ressorts d’une mémoire indexée au noir et blanc, alors même que les archives de presse révèlent un volume prolifique d’images en couleur.
Autre étrangeté : l’absence d’images symboles de la fameuse “nuit des barricades” du 10 mai. Pourquoi l’événement le plus fort (le plus “haut en couleur”) n’a-t-il pas généré d’icône ? Cette question prolonge en l’élargissant le cadre de cette réflexion sur la manière dont les images de presse sont fabriquées, soumises à un travail de relecture et de mise en scène constant qui les inscrit dans une narration mythologique. La mythologie de l’histoire se construit en partie sur cette fabrique d’images dont le destin échappe aux photographes eux-mêmes, plongés dans l’événement autant que séparés de lui. Jean-Marie Durand
Icônes de Mai 68 – Les images ont une histoire Jusqu’au 26 août, BnF, Paris XIIIe
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