Marivaux parle-t-il d’amour, ou de cruauté et de rapports de pouvoir ? Prenant au mot la duplicité de La Double Inconstance, Jean-Michel Rabeux traque les mensonges et les illusions.
Tiens, si on allait voir un Marivaux ? Confiant, malgré la parenthèse du titre proposée par le metteur en scène Jean-Michel Rabeux, le public vient assister à La Double Inconstance (ou presque) lorsque déboule sur un plateau serti de néons et de colonnes sombres une troupe d’acteurs en jeans et doudoune parlant tous en même temps. L’un d’eux s’avance et lance à la salle : “Je veux éclaircir un truc. On vous a eus bien comme il faut.”
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A la place de Marivaux, les acteurs vont jouer une pièce de l’immense Pietro Carletto, dit Pierre Carlet, ami de Casanova. Autrement dit, le patronyme de Marivaux… A cette première entorse au programme, en suivent quelques autres que n’aurait pas désavouées l’auteur, maître du travestissement, adepte du mensonge traquant la vérité et contempteur de l’illusion, garante de l’authenticité.
”L’exploitation féroce par les Grands des corps des Petits”
Reprenons : la double inconstance du titre concerne Arlequin et Sylvia, d’extraction modeste et s’aimant d’amour tendre. Le Prince (Claude Degliame, elfe mélancolique et machiavélique) ayant jeté son dévolu sur Sylvia (Morgane Arbez, d’un naturel confondant face aux à-coups de ses penchants amoureux), il la fait enlever par Trivelin (Christophe Sauger, savoureux en escarpins) ainsi qu’Arlequin (Hugo Dillon, ne pas se fier à son air jovial). Son plan est simple : gagner le cœur de Sylvia et offrir en échange Lisette à Arlequin. Mais Lisette (Aurélia Arto, parfaite en midinette, craquante en mijaurée) est trop coquette pour lui plaire et c’est Flaminia (Roxane Kasperski, vénéneuse à souhait) qui gagnera son cœur.
D’amoureux têtus et désespérés au début de l’intrigue, Arlequin comme Sylvia vont faire l’étrange découverte d’un désir qui change d’objet et d’un amour qui s’éteint pour s’allumer ailleurs sans se douter un instant qu’ils ne font que céder aux intrigues de la cour et au désir des puissants. A ces amants dupés, Jean-Michel Rabeux offrira un finale en forme de règlement de comptes digne d’un thriller. Car la pièce “ne parle que de l’exploitation féroce par les Grands des corps des Petits”.
”La pièce la plus cruelle de Marivaux”
Un constat qui fâche assez Jean-Michel Rabeux pour qu’il se donne la liberté de patouiller dans le texte d’origine en partant de son noyau dur : “On peut voir toute l’œuvre de Marivaux comme une réflexion badine et profonde autour des sens paradoxaux du mot aimer. Il dit l’amitié, amoureuse ou pas, il dit le trouble fugitif ou définitif, il dit le conjugal aussi bien que la passion. Il dit le désir, y compris celui de l’abus. Dit-il l’amour ? La Double Inconstance m’a toujours paru la pièce la plus cruelle de Marivaux.”
La traque peut commencer : il s’agit de démasquer la cruauté partout où elle se terre et ça tombe bien, il n’est pas un dialogue, une situation ou un personnage qui en soit dépourvu. Bang Bang, le tube de Nancy Sinatra en forme le résumé parfait. A fredonner sans modération à la sortie du théâtre.
La Double Inconstance (ou presque) de Marivaux, adaptation et mise en scène Jean-Michel Rabeux. Les 19 et 20 avril au Théâtre des Salins, Martigues
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