Au fil des anecdotes, le cinéaste et le metteur en scène tissent au théâtre des Amandiers la toile commune de leurs souvenirs.
L’entrée en scène d’Alain Cavalier et de Mohamed El Khatib évoque celle des lutteurs de foire. Tout se passe sur un plateau où deux rangs de spectateurs assis sur des chaises forment l’espace grégaire d’une arène de vivants. Représentation métaphorique d’une roue de la fortune qui s’amuse de la référence à la loterie qu’est la vie, cette scénographie minimale s’orne d’un petit guéridon qui en marque le centre.
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Là, comme autant de pierres récupérées sur le chemin de leur destinée, sont entassées les diverses babioles qui vont réveiller la mémoire de nos hôtes et servir de prétextes au récit d’une collection d’anecdotes. Conversation s’accorde au principe simple d’une joute oratoire où tendre à l’autre la perche d’un souvenir lui donne une occasion de vous renvoyer la pareille en rebondissant sur une révélation de son cru.
A l’évidence, l’élégante empathie qu’Alain Cavalier et Mohamed El Khatib ont l’un pour l’autre balaie d’emblée le lieu commun d’un fossé entre les générations, profond pourtant d’une cinquantaine d’années, censé rendre impossible le pied d’égalité d’un échange entre ces deux hommes-là.
Foot, enfance, éveil au désir
Premier terrain d’entente, ils ont pour le foot une passion commune. Alain Cavalier relate à la perfection l’enchaînement d’actions de jeu mythiques tandis que Mohamed El Khatib ambitionnait d’être un joueur professionnel après avoir intégré l’équipe de France junior. Le Maghreb est, pour eux, un autre territoire de connivence. L’un est d’origine marocaine tandis que l’autre a passé sa jeunesse en Algérie. Evoquer la mémoire de l’enfance devient l’opportunité d’un échange de points de vue qui puisent au sexuel et à l’onirisme des rêves.
Chaque dévoilement est une invite à mettre toujours un peu plus haut la barre de l’introspection
De la confession d’un premier émoi érotique provoqué par une carte postale représentant La Vénus d’Urbin de Titien à la lecture de la retranscription d’un songe énigmatique précieusement conservé depuis l’adolescence, les deux se retrouvent bientôt complices quand il s’agit d’aborder l’épineux problème des rapports avec leur père respectif. Chaque dévoilement est une invite à mettre toujours un peu plus haut la barre de l’introspection.
Le strip-tease des âmes
Ce jeu de la vérité s’improvise sans l’ombre d’un tabou dans une performance émouvante qu’ils renouvellent chaque soir au gré de l’inspiration du moment. La trouble jouissance du spectateur se nourrit alors de leur art de parader sans jamais déroger à la règle implicite d’une sincérité capable, le plus souvent, de mettre en péril cette pudeur qui donne son prix à leurs dires. Les bonheurs sans chichis d’une fastueuse battle conçue comme un strip-tease des âmes et un joli pied de nez à la psychanalyse. Patrick Sourd
Conversation de Mohamed El Khatib et Alain Cavalier, les 15 et 16 décembre, Nanterre-Amandiers (dans le cadre du Festival d’Automne à Paris) ; en tournée jusqu’en juin 2019
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