« Le cinéma est un astre mort », annonçait Wim Wenders à l’aube des années 1980. Si l’on en juge le nouveau spectacle de Michel Deutsch, « La Chinoise », inspiré du film de Jean-Luc Godard tourné en 1967, cet astre brille encore d’un éclat persistant.
Que reste-t-il des utopies ? La révolution fait-elle encore rêver ? On a dit queLa Chinoisepréfigurait les événements de Mai 68. Pourtant à sa sortie, le film fut très mal accueilli par l’extrême gauche. Sa lecture du maoïsme expérimenté entre les quatre murs d’un appartement parisien anticipe sur les désenchantements à venir et l’échec du gauchisme à la française. L’ironie mélancolique, la tendresse, les passions et les questionnements à l’œuvre dans La Chinoise mais aussi dans d’autres films de Godard de la même époque irriguent la pièce de Michel Deutsch.
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Créé au théâtre Saint-Gervais à Genève, tout comme La décennie rouge, précédent spectacle de Deutsch sur Baader Meinhof, cette version de La Chinoise interprétée par de jeunes acteurs confronte les aspirations d’une génération qui n’a pas connu les mouvements politiques des années 1960 et 1970 à celles des personnages du film. Cette fois, l’action a lieu dans un appartement genevois. L’histoire ne se répète pas chez Michel Deutsch, même si son spectacle joue sur un étrange effet d’écho. À l’image de ce comédien qui imite remarquablement Jean-Pierre Léaud, la pièce est comme hantée par les ombres du passé. D’où le sentiment de nostalgie qui s’en dégage, souligné par la reprise de morceaux contemporains de La Chinoise, parfois interprétés par les acteurs ; de L’Amour avec toi de Michel Polnaref à You Got the Silver de Keith Richards.
Les dialogues charrient des éléments associant deux époques comme si le présent était éclairé à la lumière des luttes révolutionnaires du passé, avec le décalage que cela suppose. Entre temps, il y a eu le triomphe du libéralisme économique. L’altermondialisme. Internet – espace de liberté toujours plus surveillé et censuré. Empreint d’une certaine candeur, le spectacle s’interroge. Que reste-t-il de l’action culturelle ? Du « théâtre socialisme », comme l’appelait Godard ? Et Deutsch d’évoquer le Wilhelm Meister de Goethe. Quel roman d’apprentissage envisager pour notre présent ? Désabusé sans être désenchanté, un spectacle dont charme léger fait de bric et de broc est d’une rare fraîcheur.
Hugues Le Tanneur
La Chinoise, de Michel Deutsch avec Géraldine Dupla, Jeanne De Mont, Zoé Schellenberger, Pascal Sangla, Julien Tsongas. Du 10 au 21 janvier à la MC96, Bobigny (93).
À signaler : Bettina Eisner, de Michel Deutsch, Christian Bourgois Editeur.
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