Au prétexte d’un conflit, chaque citoyen peut devenir un suspect en liberté. Avec les rois de Shakespeare, le Flamand Ivo van Hove alerte sur les effets pervers de la paranoïa des époques bellicistes.
Le tapis rouge des grands jours n’est qu’un gros rouleau de moquette écarlate, arrimé à un dévidoir métallique qui fait penser (en version XXL) à ceux inventés depuis longtemps pour rendre plus aisé l’usage du papier toilette dans les WC. L’installation du red carpet, déroulé à trois reprises durant le spectacle pour procéder au couronnement d’un nouveau roi, ne prend que quelques secondes et requalifie, comme un gag récurrent, les fastes du cérémonial monarchique.
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Ivo van Hove n’est pas là pour flatter l’ego des hommes de pouvoir, surtout quand il s’agit d’en faire des monarques de droit divin. Pour tirer le portrait de trois d’entre eux s’étant succédés sur le trône d’Angleterre, le metteur en scène flamand réunit la troupe néerlandaise du Toneelgroep d’Amsterdam et monte une version resserrée du triptyque consacré par Shakespeare aux destinées d’Henri V, Henri VI et Richard III.
La guerre est une maladie du pouvoir
Dans l’époque troublée qui est la nôtre, le sujet qui intéresse Ivo van Hove se résume à une seule question : quelles sont les conséquences pour nous, quand nos dirigeants en viennent à faire la guerre ? Avec l’élégance qui le caractérise, il commence par poser le débat en référence à une situation qui ne souffre aucun doute. Sa belle idée scénographique étant de s’inspirer de la war room de Winston Churchill, son spectacle se déroule dans une pièce sanctifiée par une guerre juste ; lieu d’où furent lancés les ordres qui décidèrent du sort de l’Europe quand il s’agissait de faire tomber Hitler et de vaincre les troupes du IIIe Reich.
C’est ce point de vue de départ qu’Ivo van Hove n’aura de cesse de relativiser à travers les décisions prises par les trois hommes de guerre du récit shakespearien. Pour lui, la guerre est une forme de maladie du pouvoir qui, lorsqu’elle s’installe dans la pratique d’un pays, a pour effet pervers de recentrer à terme le champ des opérations, pour faire de ses citoyens des ennemis de l’intérieur.
Avec Shakespeare, la démonstration est imparable. Henri V fait la guerre hors des limites de ses frontières. Henri VI se lance en Angleterre dans une guerre de clans. Richard III n’a, quant à lui, fait la guerre qu’à sa propre famille.
Ivo van Hove nous alerte ainsi sur la politique de nos va-t-en-guerre qui s’enivrent de nous protéger d’un péril, en reportant le front du combat à mener au cœur des libertés individuelles de ceux qui forment la nation. Un questionnement qui, au final, prend tout son sens par les temps qui courent.
Kings of War d’après Henri V, Henri VI et Richard III de William Shakespeare, mise en scène Ivo van Hove, en néerlandais surtitré en français, du 22 au 31 janvier au Théâtre national de Chaillot, Paris XVIe, tél. 01 53 65 30 00, theatre-chaillot.fr
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