Féminisme, transidentité, racisme, injonctions sociales : voilà à quoi peut ressembler l’humour en 2018. Rencontre avec Kee-Yoon pendant les répétitions de son nouveau spectacle.
Kee-Yoon est accroupie sur scène. Elle fume une clope penchée sur ses feuilles tandis que Samuel Doux, son metteur en scène, enchaîne les remarques et les conseils sur les vannes qui viennent de défiler. “Ça, il faut peut-être couper”, dit-il. Ou bien : “T’es sûre qu’on comprend bien l’enchaînement, là ?” L’humoriste répond, argumente ou bien acquiesce sans hésiter. Les deux sont en pleine répétition de Tropique du panda, son nouveau spectacle inauguré le 7 avril au Théâtre du Gymnase, à Paris.
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A quelques jours de la première, la comédienne peaufine encore son texte, sa gestuelle, ses effets. Sa voix, aussi. Car si Kee-Yoon fait du stand-up avec le minimalisme que la pratique impose, elle chante toutefois de temps en temps. “On m’a beaucoup dit que je chantais mal, s’amuse-t-elle. Au début, ça me vexait. Mais en fait j’en ai rien à foutre, je kiffe de chanter alors je le fais.”
Féminisme, transidentité, racisme et injonctions
Il y a trois chansons dans ce nouveau spectacle, dont une super sur le fromage. Le reste du temps, dans Tropique du panda, Kee-Yoon fait rire avec des sujets plus sérieux : le féminisme en premier lieu, mais aussi la transidentité, le racisme et les injonctions en tout genre, qu’elle traite à la lumière de son parcours à elle.
“Je voulais parler du féminisme à travers mon histoire personnelle, raconte-t-elle. Ma mère aurait voulu avoir un garçon. J’ai grandi en l’entendant dire ça. C’est quelque chose qui m’a toujours un peu traumatisée, mais j’ai voulu dépasser ça en le racontant. Et il se trouve qu’avec le temps, c’est entré en écho avec l’actualité.”
Commencée dès la fin de son premier spectacle, Jaune bonbon, l’écriture de Tropique du panda s’est toutefois achevée récemment, juste après l’explosion de l’affaire Weinstein et du mouvement #MeToo. Une actualité forcément entrée en résonance avec le contenu du show, qui croise la conscience sociale de Kee-Yoon avec ses retranchements individuels. “Vu que ma mère en voulait un, poursuit-elle, j’ai passé ma vie à essayer de me comporter comme un garçon. Ne jamais pleurer, par exemple. Et ce n’était pas une démarche politique, juste un instinct de survie pour que ma mère m’aime.” D’un point de vue général, l’ex-avocate fait désormais moins de blagues sur ses origines et davantage sur ce qu’elle est devenue aujourd’hui.
Pas de talent particulier
Kee-Yoon est née en 1980 à Berlin et a grandi à Paris dans une famille coréenne. Sa mère est cantatrice pour l’opéra et son père voyagiste. Quant à elle, pendant longtemps, elle ne s’est trouvé de talent pour rien en particulier. Elle fera donc des études. Longues, les études. Assez pour devenir avocate d’affaires puis pénaliste dans un grand cabinet, où elle défendra plutôt les méchants. Et puis un jour, elle participe à un concours d’éloquence durant lequel il se passe quelque chose : elle se rend compte qu’elle peut faire rire. La graine est plantée puis grandira avec un traumatisme, celui du suicide de sa meilleure amie qui finira d’asseoir sa décision de tout plaquer.
Un an plus tard, Kee-Yoon est sur scène avec Jaune bonbon. Nous sommes en 2014, elle a 33 ans. Tout s’enchaîne et ça fonctionne. “Je ne m’attendais à rien avec ce premier spectacle, se souvient-elle. Avant d’être dans l’eau, tu ne sais pas si tu vas savoir nager ! Dans mon métier d’avocate, je n’étais pas habituée à l’incertitude.” Avec d’un côté son admiration pour Tina Fey et Sarah Silverman, de l’autre sa proximité avec Florence Foresti, Claudia Tagbo et Gaspard Proust, elle se lance dans l’interprétation sans filtre de ses textes. Et le métier a fini par rentrer.
“Ce nouveau spectacle a été vachement plus agréable et facile à écrire, dit-elle. La première fois, j’ai beaucoup souffert, c’était vraiment dur. J’ai écrit beaucoup de choses qui n’allaient pas.” Désormais entourée de Samuel Doux et de son expérience de scénariste, réalisateur et romancier, Kee-Yoon continue de raconter son changement de vie et le monde qui change autour d’elle. Une démarche qu’on pourra bientôt suivre, aussi, avec un premier long métrage en tant que réalisatrice, qu’elle coécrit actuellement avec Fanny Burdino et Mazarine Pingeot. Mais pour l’instant, c’est sur scène que ça se passe.
Maxime de Abreu
Stand-up Tropique du panda, à partir du 7 avril, Théâtre du Gymnase Marie-Bell, Paris Xe
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