Le chorégraphe signe sa création la plus ambitieuse : une réussite qui raconte autant Fela Kuti, l’Afrique contemporaine que les aspirations à la liberté.
Sur la carte du continent africain, nulle trace de cette République de Kalakuta mentionnée dans le titre du spectacle de Serge Aimé Coulibaly. Une invention poétique alors ? Pas tout à fait : “Kalakuta Republik” désigne en fait le monde du compositeur et agitateur Fela Kuti, à Lagos, où il avait son studio d’enregistrement, son club, sa famille.
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Dans la chorégraphie imaginée avec sa compagnie burkinabé, la Faso Danse Théâtre, Coulibaly fait sienne cette “principauté” de groove et de sueur, de révolte et d’amour. Une manière de dire peut-être que tout artiste, africain mais pas seulement, doit quelque chose à Fela.
Un portrait polyphonique de l’Afrique actuelle
Kalakuta Republik n’est pas un biopic du musicien nigérian – la machine à rêve de Broadway est déjà passée par là il y a quelques années, confiant la chorégraphie d’un show Fela à Bill T. Jones, une des grandes figures de la danse afro-américaine engagée. Kalakuta Republik est avant tout un portrait polyphonique de l’Afrique actuelle traversée par ses peurs, ses soulèvements tout autant que par un formidable appétit de vivre.
Serge Aimé Coulibaly ouvre sa pièce sur un long tableau en noir et blanc, superbe d’engagement et de trouvailles gestuelles. Le décor est simple, fait de grandes toiles, de tapis comme oubliés là. Un canapé trône dans un coin : cela pourrait être un salon à ciel ouvert. La nuit est douce, les visages comme dessinés par la grâce d’un trait.
“Kalakuta” est une fête
Des masques vivants. Cette petite foule gronde, prise dans une transe avec force pliés, tremblements qui parcourent les corps. La musique de Fela, un de ces longs morceaux caractéristiques du musicien nigérian, semble prendre le pouls du peuple. Ou le contraire.
En filigrane, Serge Aimé Coulibaly s’interroge sur ce qui fait un chef, un leader de nos jours. Et quelle est la part de liberté qu’il nous reste. Le chorégraphe a gardé de ses années “flamandes” – alors qu’il était un interprète repéré chez Sidi Larbi Cherkaoui puis chez Alain Platel – ce goût du mouvement franc, du travail au sol. Mais il y ajoute sa couleur personnelle, une musicalité qui puise dans les percussions, les sons de la ville. Ou de Fela.
Dans la seconde partie de Kalakuta Republik, où les couleurs éclatent, c’est encore un autre Coulibaly, entre chant et théâtre, qui se fait jour. Des images de réfugiés en fuite, des chansons susurrées au micro apportent une densité supplémentaire. Il nous dit, à sa façon, que cela vaut encore le coup de tenter de se révolter.
Le plus beau, c’est que Kalakuta Republik est aussi une fête. Chez ce créateur de 45 ans, la politique se joue également chaque soir sur le plateau du théâtre. Serge Aimé emporte ses danseurs – Antonia Naouele, Marion Alzieu, Adonis Nebié, Sayouba Sigué, Ahmed Soura et Ida Faho, tous formidables – dans un bal triste. Jusqu’au prochain rendez-vous.
Kalakuta Republik chorégraphie Serge Aimé Coulibaly, du 19 au 25 juillet (relâche le 23), cloître des Célestins, Avignon
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