Avant sa fermeture fin 2018, La Maison Rouge prend son ultime Envol. Une magistrale expo collective sur le rêve de voler.
“L’envol n’est pas exactement voler.” Marie Darrieusecq a raison de préciser, dans le catalogue de l’exposition de la Maison Rouge, que ce geste relève d’une esquisse, d’une tentative d’évasion : quitter la colle du sol, vaincre la gravité, conjurer la pesanteur qui contraint corps et esprit. “Il suffit de refuser l’impératif du sol et du soi. De refuser l’injonction d’être présent, au sens de répondre à son nom, à sa famille, à son état civil” : ce serait cela l’envol, le rêve de voler au-dessus de soi autant qu’au-dessus de la matière terrestre.
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L’exposition L’Envol, ou le rêve de voler, proposée par Antoine de Galbert, Aline Vidal, Barbara Safarova et Bruno Decharme, survole ce rêve de la plus belle des manières : en auscultant à travers deux cents œuvres d’art – dessins, photos, installations, sculptures, peintures – prélevées autant dans l’art moderne que dans l’art brut, dans l’art ethnographique que l’art contemporain, cette étrange pulsion humaine pour la lévitation.
Voler ne coule pas de source, même pour une sorcière
Ne plus toucher terre, se lancer dans l’inconnu : un “moment qui vaut toute la vie”, ajoute Marie Darrieusecq. Indexée à un rêve de dépassement de ses limites, l’excitation de ce moment procède parfois d’un moment d’égarement : l’envol ressemble aussi à une chute, à l’image du mythique Saut dans le vide d’Yves Klein, photographié et publié dans le journal Dimanche le 27 novembre 1960, sous le titre “Un homme dans l’espace”.
On trouve plein d’autres sauts à la Maison Rouge, dont celui, surréaliste, d’un chat photographié en 1960 par Alfred Statler. Cet envol bute parfois sur des obstacles, à l’image de La Sorcière de Pierre Joseph (1993), écrasée sur un mur bleu comme la couleur du ciel, gisante sur le sol, le balai à ses pieds. Image glaçante d’un rêve broyé sur le mur de la réalité : voler ne coule pas de source, même pour une sorcière.
Dans une installation sensuelle et sans suite, Luna (1968), l’artiste italien Fabio Mauri imagine, un an avant les premiers pas de Neil Armstrong, à quoi ressemblerait une balade sur la Lune
A ce principe de réalité gravitationnelle, la majorité des artistes ici présents opposent leurs lubies aériennes et leurs fantasmes d’apesanteur. Gustav Mesmer conçut toute sa vie des chaussures munies de ressorts pour s’élancer dans les airs. Urs Lüthi se voit voler assis sur un tapis. Agnès Geoffray imagine des corps en suspension, photographiés dans un moment de lévitation extatique. Certains se prennent pour des savants fous, tels le constructiviste russe Vladimir Tatline, qui conçoit en 1928 une incroyable machine à voler, le “Létatline”, ou le Belge Panaramenko, obnubilé lui aussi par des machines poétiques bardées de moteurs et de souffleries.
A côté de l’ambition scientifique de certains artistes qui ne renoncent pas à leur vision poétique, d’autres se détachent de toute contingence technique pour s’imaginer déjà dans un au-delà spatial. Dans une installation sensuelle et sans suite, Luna (1968), l’artiste italien Fabio Mauri imagine, un an avant les premiers pas de Neil Armstrong, à quoi ressemblerait une balade sur la Lune : à une salle noire, recouverte de millions de billes de polystyrène caressant la paume de nos pieds nus.
Le rêve enfantin d’une ascension
Un voyage sidéral, sinon sidérant. A la mesure de cette projection fantasmatique et physique, le parcours de l’expo joue sur des effets de surprise en confrontant avec audace des œuvres que rien ne rapproche sinon un goût pour la transgression de la pesanteur. Aux photographies iconiques d’Henri Cartier-Bresson, Alexandre Rodtchenko ou Jacques-Henri Lartigue, se mêlent des vidéos hilarantes de Roman Signer (56 petits hélicoptères volant bas), des aquarelles déchirantes de Henry Darger…
Ce qui se dégage de l’ultime voyage proposé par la Maison Rouge, c’est bien le rêve enfantin d’une ascension, confinant à une forme de disparition. La vive émotion que suscite cet Envol procède de cet entrelacement entre la part d’enfance qu’abrite l’histoire de l’art et la part mélancolique qu’incarne la fin annoncée de l’institution. L’envol est aussi celui qui mène vers une Maison vide, dont les souvenirs resteront aussi déchirants que les rêves de voler sont déchirés. Jean-Marie Durand
L’Envol, ou le rêve de voler Jusqu’au 28 octobre, La Maison Rouge, Paris XIIe
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