Pionnier de l’art optique dans les années 60, Julio Le Parc a droit à une belle rétrospective. Identique à celle que cet artiste anticonformiste avait refusée en 1972.
Soyons francs, tout le monde avait un peu oublié que Julio Le Parc vivait encore près de Paris, qu’il travaillait toujours à 83 ans passés et finalement qu’il avait été si important. Il faut dire que l’artiste lui-même a tout fait pour qu’on l’oublie. Au faîte de sa gloire, en 1972, il refuse une proposition qui ne se refuse pas : sa rétrospective au musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Il pèse alors le pour et le contre, et s’avoue finalement incapable d’en décider. Tire donc à pile ou face. Perd (ou gagne) et décline l’offre, au risque de se voir apposer l’étiquette du type qui ne sait pas ce qu’il veut.
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En fait, ce refus est motivé par une opposition contre l’institution et contre le pouvoir. Un engagement radical partagé à l’époque par les Buren et les Mosset, entre autres, qui conduit Julio Le Parc, arrivé de Buenos Aires dix ans auparavant, à être expulsé du territoire pour sa participation active aux ateliers populaires de Mai 68. La mobilisation de ses pairs le ramène en France cinq mois plus tard. Ce qui n’empêche pas le lauréat du Prix de peinture à la Biennale de Venise de 1966, récompense suprême, à continuer le combat et à en tirer les conséquences sur sa propre carrière.
Matthieu Poirier, commissaire de cette exposition, parle de ce tournant et de ces retraits successifs comme d’un « suicide artistique ». D’autant que ce pionnier de l’op’art en France renouvelle alors sa pratique et ne fait plus ce qu’on attend de lui. Au lieu de ses étourdissantes installations cinétiques, il peint des tableaux, aux motifs certes effervescents, mais désormais inanimés. On ne les verra pas à la galerie Bugada & Cargnel, qui remonte le temps et imagine ce qu’aurait pu être la rétrospective au musée d’Art moderne si la pièce de monnaie était tombée du bon côté.
Ce retour dans l’arène de Julio Le Parc était dans l’air. Trop d’artistes (de Jeppe Hein à Philippe Decrauzat, en passant par Carsten Höller) s’appuient aujourd’hui sur son oeuvre pour que des pièces historiques restent cachées dans l’atelier de Cachan.
Lunettes pour voir à l’envers, tableaux en forme de cibles, stand quasiment forain où, appuyant sur des touches, le spectateur met en branle des formes géométriques, le tout ayant été réalisé entre 1959 et 1971 : l’exposition réenclenche les principes et les formes de l’art perceptuel. A commencer par cette espèce de paravent, fait de lames verticales réfléchissantes agitées par un petit moteur, bricolé avec les moyens du bord, qui décompose le mouvement et hachure l’image de ce qu’on perçoit au travers. Ou plutôt de ce qui vous perçoit. Car l’op’art renverse la polarité : ce n’est pas l’oeuvre qui est visé, mais l’oeil du spectateur. Attention, vous êtes la cible.
Claire Moulène
L’OEil du cyclope (oeuvres de 1959 à 1971) jusqu’au 5 novembre à la galerie Bugada & Cargnel, 9, rue de l’Equerre, Paris XIXe, tél. 01 42 71 72 73, www.bugadacargnel.com (au Centre Pompidou-Metz, l’exposition Erre, jusqu’au 5 mars, consacre une salle à Julio Le Parc)
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