Révolté par la barbarie du présent, Ivo van Hove en appelle à Sophocle pour offrir à Juliette Binoche le rôle sacrificiel de l’égérie en charge de redonner au monde la dignité de marcher sur ses deux pieds.
Empêchée d’honorer comme il se doit la dépouille mortelle de son frère par un décret d’Etat, Antigone prend le risque d’être condamnée à mort pour revendiquer son droit inaliénable de pratiquer un cérémonial funèbre qui depuis la nuit des temps marque la frontière entre humanité et animalité. Comme le rappelle Ivo van Hove, “le dilemme d’Antigone est devenu une réalité terrifiante lorsque le vol 17 de Malaysia Airlines a été abattu en Ukraine dans une zone de guerre. Les corps ont été laissés en plein milieu des champs, pourrissant sous le soleil brûlant pendant plus d’une semaine.” Aussi incroyable que cela puisse paraître, l’obscénité de notre début de siècle remet sur la place publique le débat posé en 441 avant notre ère par Sophocle, et ce sont encore les lumières d’Antigone qui aident à sortir notre civilisation de l’ornière où notre temps se plaît, toute honte bue, à la laisser s’enliser.
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Avec l’efficacité d’un théâtre qui s’inspire de l’esthétique de la représentation des cercles du pouvoir dans les séries télé, Ivo van Hove offre à Juliette Binoche la cure de jouvence du rôle de cette adolescente se battant bec et ongles pour s’opposer à l’obscénité d’un diktat inique. S’engageant à cor et à cri, l’actrice prend le risque d’interpréter ce rôle en anglais pour composer avec justesse une Antigone aussi pudique qu’héroïque, aussi fragile que touchante. Entre les cuirs noirs des salons du palais, le désert où le corps de son frère est abandonné et le caveau où elle va être enfermée vivante, cette Antigone se joue sous l’irradiante lumière d’un soleil éclairant la salle bien plus que la scène.
Représentation métaphorique de l’aveuglante vérité d’une situation que nos instances médiatiques ont banalisée comme une péripétie vite oubliée, l’astre têtu s’avère une gêne qui tourmente les yeux tout au long de la représentation. Avec lui, Ivo van Hove dérange notre confort de spectateur. Mais que faire d’autre si l’on a encore l’espoir de réveiller les consciences…
Antigone de Sophocle, mise en scène Ivo van Hove, avec Juliette Binoche, Kirsty Bushell, Patrick O’Kane, Finbar Lynch, du 22 avril au 14 mai au Théâtre de la Ville, Paris IVe, en anglais surtitré en français, tél. 01 42 74 22 77, theatredelaville-paris.com
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