A l’heure où les libraires et les disquaires indépendants redoutent le pire avec le reconfinement, Les Inrockuptibles donnent la parole aux artistes. Musicien·nes, cinéastes, écrivain·es, metteur.ses en scène… Elles et ils témoignent du lien personnel entretenu avec une librairie ou un disquaire, et racontent comment ces rencontres leur ont permis de découvrir une œuvre particulière. Aujourd’hui, le metteur en scène Julien Gosselin évoque deux librairies qui ont été importantes pour lui. #Rendeznousnoslibrairies.
“Il y a deux librairies que j’ai peu visitées, mais chaque fois à des moments importants. Toutes deux sont tenues par des gens assez rugueux et sûrs de leurs goûts littéraires. Ces jours-ci, j’entendais à la radio une libraire défendre les librairies en disant que c’était des espaces extrêmement démocratiques, au sens où tous les goûts pouvaient y être représentés. Or, ce n’est pas ce que je cherche dans les librairies. Ce que j’aime justement, c’est trouver des libraires radicaux, qui font leurs choix et qui ne me laissent pas du tout chercher le livre que j’étais venu trouver. Au contraire. Au fond, il y en a peu comme ça en France.
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Je me souviens d’une librairie que j’avais visitée il y a un peu plus de dix ans. J’étais jeune acteur et j’allais monter Les Particules élémentaires quelques mois plus tard. Je jouais dans un spectacle à Tulle, en Corrèze. Le matin de la représentation, je faisais un tour dans la ville et je suis tombé sur cette librairie. Le libraire était une sorte de mec très désagréable qui fumait à l’intérieur et qui m’avait dit : “Ah, vous êtes metteur en scène. Qu’est-ce que vous allez faire ?” Je lui réponds : “Houellebecq.” Il s’est foutu de ma gueule vraiment violemment en me disant que Houellebecq, c’était nul, ça n’avait aucun intérêt. Sa librairie était à moitié composée de livres des éditions Verdier et il a vraiment été important pour moi parce qu’il m’a dit : “Vous devriez lire Pierre Bergounioux, Pierre Michon…” Et ce sont maintenant des auteurs dont j’achète les livres sans arrêt, que j’aime par-dessus tout. Il a bien fait d’être contre moi.
La deuxième, je m’en souviendrai toujours, c’était l’été dernier et j’étais dans un état désespéré. C’était à Grignan, dans le sud de la France. Quand on monte un chemin dans le village, il y a une petite librairie tenue par une dame qui fume la pipe et qui vend des livres d’occas’ et neufs : Philippe Jaccottet, William Faulkner, Marguerite Duras, Pierre Bergounioux aussi ; que des auteurs extraordinaires. Je n’avais pas lu ou du moins très peu depuis un an parce que je n’étais pas bien dans ma vie et incapable d’ouvrir un livre.
Je lui en ai acheté des tonnes et à ce moment-là de ma vie, elle a été extrêmement importante. C’est une dame d’un certain âge et j’avais envie de lui plaire, je voulais qu’elle m’aime et lui montrer que j’avais du goût ! Ça m’a fait retrouver Marguerite Duras que j’avais perdue de vue et que je passe mon temps à lire, encore aujourd’hui. Je lui dois beaucoup à cette dame. On a parlé de Jaccottet que je connaissais peu ou mal. J’étais en train de préparer le projet de spectacle sur Leonid Andreïev et elle le connaissait. Elle avait ses nouvelles, que je n’avais jamais lues. Je ne connaissais que ses pièces de théâtre. J’aurais pu tout acheter dans sa librairie et certainement pas ce que j’étais venu chercher. C’est ça qui est génial.”
Retrouvez ici la carte des librairies proposant le service “clik & collect”.
Propos recueillis par Fabienne Arvers
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