Illustrateur de Tolkien, collaborateur de Peter Jackson sur “Le Seigneur des Anneaux” et “Le Hobbit”, le dessinateur canadien John Howe a dédié sa vie à l’imaginaire. Alors qu’une exposition-événement s’ouvre à Paris, rencontre avec un auteur qui aime rendre authentique le fantastique.
C’est votre première exposition personnelle depuis une décennie… Le cinéma ne vous laisse jamais de répit ?
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John Howe – Les dessins en noir et blanc datent de décembre 2016, janvier 2017, j’avais un mois et demi devant moi puisque je devais aller en Nouvelle-Zélande pendant neuf semaines sur une autre production de Peter Jackson, l’adaptation de Motor Engines, un bouquin de Philip Reeves. Le reste des dessins exposés date de 2015 quand j’étais de retour du tournage du Hobbit. J’avais du temps, pour ne pas rester sans rien faire, j’ai exploré deux ou trois thèmes qui m’intéressaient.
Quand vous n’avez pas de texte à illustrer, comment marche votre inspiration ?
Pour moi, l’élaboration d’un dessin ou d’une peinture, c’est une sorte de dialogue, parfois de conversation à trois, entre le dessin, le sujet et moi. Comme dans quelques-uns des dessins exposés figurent des corbeaux, ça m’a amené à cette réflexion : l’inspiration nous arrive comme par des vols d’oiseaux. J’aime bien cette image parce qu’elle accorde à l’inspiration un peu d’indépendance, parce que les corbeaux ne vous nourrissent pas forcément dans le désert – je ne sais pas plus à quel saint chrétien c’était arrivé – des fois, on y crève tout seul !
L’inspiration vient de l’expérience, des rencontres, si elle était innée, on n’aurait besoin de personne. C’est un peu comme si on était au milieu d’un paysage extraordinaire, avec toujours des nuages quelque part, si bien que vous vous faites une idée de ce qui vous entoure mais vous ne voyez jamais tout en même temps.
Vous êtes un des enlumineurs les plus célèbres de l’univers de Tolkien. Après tout ce temps que vous avez consacré à son œuvre, le dialogue dont vous parlez peut-il se poursuivre ?
Oui, il se prolonge avec les gens à qui Tolkien a ouvert les portes du point de vue de l’écriture. Je peux aussi remonter jusqu’aux sources de Tolkien, bien que ces textes soient plus hermétiques, difficiles à aborder. Dans Beowulf ou Les Niebelungen, les poèmes qui ont inspiré Tolkien, il n’y a pas de place pour les lecteurs modernes. Le grand intérêt de Tolkien, c’est d’avoir su, au contraire, nous laisser de la place. Il nous a remis au milieu de ces univers.
Avez-vous toujours une collection d’objets médiévaux ?
Oui, ma femme et moi avons un garage qui en est rempli, c’est l’horreur ! Cette collection correspond à cette période où nous étions passionnés par la reconstitution. Déjà, j’ai une affection particulière pour les armures, des objets que j’ai toujours trouvés extravagants. Me plonger là-dedans m’a beaucoup enrichi, ça m’a permis de me familiariser avec des tas de choses qui, sinon, seraient restées abstraites. Tout ce qui est contes et légendes, mythologie, c’est quand même ancré dans l’histoire. Le cinéma est friand de tout ça, cette densité, cette véracité.
Avoir une telle collection, ça vous aide à rendre authentique l’imaginaire ?
C’est un peu le but. Il faut aider les gens à passer outre cette notion qu’il n’y a rien de vrai dans le fantastique. Le but est de les aider à se transporter dans une histoire le temps d’un moment. Pour ça, il faut que mes images soient ouvertes. Mes dessins sont comme des portes ou des fenêtres, des invitations à rêver. J’aime bien mettre plein de détails à certains endroits mais les vides sont aussi pleins de détails parce que les gens vont les remplir.
Est-il vrai que, sur le tournage du Seigneur des anneaux, vous vous amusiez à forger des têtes de flèche ?
Oui, c’était juste pour me détendre. Ça n’a rien de compliqué, d’ailleurs. Pendant le tournage, on se battait aussi à l’épée sur le parking ! A l’époque, Peter Jackson et le studio Weta inventaient le cinéma en Nouvelle-Zélande avec des projets d’envergure internationale. Tout était en train de se créer en même temps que la trilogie se faisait. Il y avait une ambiance que l’on ne connaîtra plus jamais. On n’avait pas beaucoup d’expérience, on était très naïf, inconscients aussi. Maintenant, en Nouvelle-Zélande, le cinéma représente une vraie industrie.
Vous avez été étudiant de l’Ecole d’art de Strasbourg. Est-ce vrai que la vision de la cathédrale vous a fait ressentir un choc ?
C’était incroyable, j’avais 19 ans, j’étais étudiant sans un rond dans un pays dont je ne parlais pas la langue. J’ai traversé la place en vélo et je me suis arrêté en me disant : Quel moment magique. Au Canada, il n’y a rien de très moyenâgeux, alors me retrouver devant quelque chose qui me dépasse… On n’a jamais inventé des choses aussi extraordinaires que ce qui a été construit il y a des millénaires.
Pareil, ça m’arrive constamment de tomber sur des peintures ou des sculptures dont le créateur est mort depuis longtemps… tout d’un coup, je me sens proche de lui. J’ai très envie d’écrire un livre – mais je ne le ferai jamais – sur les emmerdes qu’ont connues des artistes comme Léonard de Vinci, Michel-Ange ou Rembrandt qui avait des problèmes de loyer. Malgré leurs soucis au quotidien, ce qui reste d’eux, c’est leur œuvre complètement transcendante et lumineuse. On est capable de beaucoup de choses !
Vous dites souvent que le fantastique est une “surréalité”. C’est-à-dire ?
Dans le sens où c’est une réalité qui vient en plus, comme un calque qui se superpose. Je crois beaucoup à la véracité poétique de tout ce qui est mythologie, contes et légendes. J’ai une bonne collection de livres à la maison que je parcours constamment. Les voyages d’Ulysse, si vous les approchez d’un point de vue géographique, sont impossibles. Les gens qui se battent pour savoir s’il s’est rendu en Afrique du Nord ou pas, ça n’a pas de sens ! En revanche, les interpréter à un niveau presque métaphysique a de l’intérêt. Autre exemple, quand le roi Arthur tire l’épée de la pierre, pour moi c’est une référence à l’invention du fer. Toutes ces couches d’interprétation viennent enrichir votre propos, lui donnent de l’épaisseur, même si vous dessinez un type qui tire une épée d’un caillou.
Dessins légendaires, exposition à la galerie Arludik (12-14, rue Saint-Louis-en-l’Ile Paris IVe) jusqu’au 8 juillet
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