Entre Paris et New York, passionnant jeu de miroirs entre l’icône du modernisme Malevitch et le maître de l’abstraction Morellet.
Les expositions se suivent et heureusement ne se ressemblent pas (toujours). L’an dernier, par exemple, le 6e étage du Centre Pompidou accueillait en grande pompe la rétrospective Soulages, décrété « le plus grand peintre abstrait français », qui déroulait chronologiquement son aventure de l’outrenoir qui voit plus blanc que noir. Cette année, c’est un autre plus grand abstrait français qui est invité, de manière plus discrète, sur les lieux de la consécration. Mais plutôt que de s’adonner à l’embaumement du musée, François Morellet a pris une décision étonnante et pleine de légèreté : il s’agit de ne remontrer que ses diverses et nombreuses installations créées depuis le début des années 1960, et sa participation au Grav (Groupe de recherche d’art visuel).
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Autant dire des pièces pour la plupart éphémères, réalisées en fonction du lieu et du contexte, tantôt pour une galerie, tantôt sur un stand de foire, pour un musée ou dans une abbaye, comme à Tournus où il avait aligné au sol un ensemble de néons bleus clignotants.
Si la scénographie de l’exposition semble encore bien trop lourde pour installer l’ambiance de fête et de foire espérée par l’artiste, reste que certaines oeuvres relèvent pleinement de l’attraction foraine : ici, en actionnant une minivague dans un petit bassin, le spectateur peut déformer à son aise le reflet d’une grille rigide de néons blancs. Là, un commutateur lui permet de faire varier l’alignement des néons. Si les pièces présentées ne sont pas toutes aussi interactives, reste qu’elles tendent à mettre du flottement, de la souplesse et de la dérision dans les formes dures et droites de l’abstraction. C’est là le grand jeu de Morellet.
D’où l’autre étonnante exposition qui se déroule en ce moment à la galerie Kamel Mennour : soit une confrontation inattendue mais pleine d’évidence entre Morellet et Malevitch, connu pour son fameux et radical Carré noir sur fond blanc de 1915.
On fera remarquer que pendant ce temps, à New York, la galerie Gagosian déploie une énorme et muséale exposition consacrée à l’héritage américain de Malevitch, et aligne des chefs-d’oeuvre d’Ad Reinhardt, Barnett Newman, Richard Serra et autres Ed Ruscha pour marquer la déférence des Américains vis-à-vis du « Black Square » russe, véritable icône du modernisme. Mais à Paris, les jeux déviants de Morellet font de lui un héritier critique, moins respectueux, moins sérieux, plus bâtard, mais tout aussi sagace du maître suprématiste. Où l’on découvrira, par un juste retour d’ironie, un Malevitch pas si « carré » que cela. Les expos se suivent et ne se ressemblent pas (toujours).
Jean-Max Colard
Malevitch & Morellet, Carrément jusqu’au 30 avril à la galerie Kamel Mennour, 47, rue Saint-André-des-Arts, Paris VIe
François Morellet dans ses petits papiers jusqu’au 29 avril à la galerie Aline Vidal, 70, rue Bonaparte, Paris VIe
François Morellet, Réinstallations jusqu’au 4 juillet au Centre Pompidou
Malevich and the American Legacy jusqu’au 30 avril à la Gagosian Gallery, 980 Madison Avenue, New York.
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