L’exposition blockbuster au Centre Pompidou au Centre Pompidou peut être vue comme une traversée dans l’Amérique middle-class de Jeff Koons. Visite road-movie. Il y a deux manières de visiter une exposition. D’abord la promenade esthétique : on évolue parmi les oeuvres, on y prend plaisir (ou pas), on “exerce” son goût. Mais il y a […]
Visite road-movie de l’exposition blockbuster de Jeff Koons au Centre Pompidou.
L’exposition blockbuster au Centre Pompidou au Centre Pompidou peut être vue comme une traversée dans l’Amérique middle-class de Jeff Koons. Visite road-movie.
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Il y a deux manières de visiter une exposition. D’abord la promenade esthétique : on évolue parmi les oeuvres, on y prend plaisir (ou pas), on « exerce » son goût. Mais il y a une autre façon, plus rêveuse, plus visionnaire, qui consiste à s’inventer un récit, à réagencer les oeuvres pour atteindre le lieu mental, « l’arrière-pays » dans lequel se déploie une oeuvre.
Testons cette théorie improvisée sur l’exposition Jeff Koons au Centre Pompidou. Dans les salles aérées, ouvertes, du 6e étage, on se plaît d’abord à parcourir une large rétrospective de l’artiste, la première de cette ampleur en Europe. Depuis les premières oeuvres gonflables exposées sous vitrine et miroir des années 80 jusqu’aux toutes dernières pièces. Le début est saisissant : intenses de rigueur formelle, les assemblages d’aspirateurs Hoover montés sous Plexiglas et éclairés au néon sonnent la réconciliation du pop art et du minimalisme. Défilent ensuite quelques icônes de l’art contemporain : la statue kitsch et mass média, en porcelaine, de Michael Jackson et de son singe Bubbles (1988). Où l’on se dit que, largement redevable à Marcel Duchamp, Koons a étendu le domaine du ready-made au reste du supermarché et à la culture mainstream. Au passage, glissé parmi des statues argentées, un chef-d’oeuvre emblématique de l’art de Koons : le fameux Rabbit. Jouet gonflable reproduit en acier poli, c’est une pure surface miroitante, sans intériorité, sur laquelle le public vient se refléter. Koons, miroir de son temps. Dans la dernière salle, aux pièces toutes récentes, l’Antiquité et le baroque se diluent dans le kitsch à coups de sculptures monumentales fondues dans de l’acier chromé.
Le soir même du vernissage, de nombreux professionnels de l’art avouaient n’avoir encore jamais vu une telle rétrospective. Pour une raison d’abord économique, liée au prix record des oeuvres (43,7 millions d’euros en 2013 pour son Balloon Dog orange). Même pour le Centre Pompidou et le Whitney Museum of American Art de New York associés pour l’occasion, il est bien difficile de s’offrir un tel blockbuster – sauf à avoir le secours de riches collectionneurs et des galeries au risque de voir les institutions se faire dicter leur programmation par les puissances du marché de l’art.
Certaines pièces sont d’ailleurs ouvertement à vendre, faisant alors évoluer l’expo vers le showroom : telle cette sculpture en bronze peint de Popeye, dont la rutilance multicolore nous rappelle les statues polychromes du Moyen Age. Créditée « Galerie Gagosian », la pièce cherche acquéreur – mais j’ai bien peur, chers lecteurs des Inrocks, que le regroupement solidaire de toutes nos caisses d’épargne ne permette jamais de la faire venir dans nos salons.
Mais il y a une autre manière de visionner l’exposition : c’est de la vivre comme une traversée grandeur nature dans la psyché américaine, dans le paysage suburbain et middle-class de Pennsylvanie d’où est originaire Jeff Koons, et toute son oeuvre avec lui. Revisitation : on entre en Amérique par l’arrière-cour, par la porte qui donne sur le jardin et le petit terrain de sport, avec les trois ballons de basket flottant dans l’aquarium (Three Ball Total Equilibrium Tank, 1985). A côté du hangar où s’entreposent en vrac des objets de loisir et de sport, viennent ensuite la cuisine et le monde domestique peuplé d’appareils électroménagers (aspirateurs, grille-pain…).
Au dehors, l’univers de la publicité recouvre les murs de ses affiches et ses panneaux lumineux. Avec ses deux travées larges comme des boulevards, l’exposition nous entraîne alors on the road, dans un paysage baigné par la télévision (le porno, MTV, Disney). Des sculptures en bois, comme datant du XIXe siècle, évoquent aussi bien le passé industriel et charbonneux de cette partie de l’Amérique que les devantures des magasins de brocante d’Adamstown, Pennsylvanie, petite ville proclamée « capitale de l’antiquité du monde ».
On se souvient que le père de Koons tenait justement un petit magasin de décoration, où il épinglait parfois un dessin de son fils. Dans le catalogue, une image du shop paternel donne une idée de ce faux intérieur, de ce kitsch décoratif : on y aperçoit même un énorme bouquet de fleurs tel celui qui trône, artificiel, au coeur de l’exposition. Le reste de l’oeuvre suit, presque naturellement, cette logique américaine : marchandisation du système esthétique, oeuvres à valeur spéculative, production industrielle et donc désaffectée des peintures et sculptures, portrait de l’artiste en publicitaire ou en entrepreneur.
Après un passage sentimental-porno avec la Cicciolina dans un motel de Las Vegas, après avoir longé le playground, l’amusement park et ses attractions infantiles, le road-movie de l’exposition se poursuit jusqu’à la dernière salle. Au loin, les grandes statues antiques en plâtre blanc surmontées d’une boule bleue ne sont pas sans évoquer ces magasins à ciel ouvert de statues en stuc qui ornent les longues routes nationales.
Sur le côté, la dernière oeuvre est comme un retour à la maison. C’est une réplique en plâtre d’une boîte aux lettres typiquement made in USA. Et peut-être n’est-ce après tout que cela, Jeff Koons : la consécration au rang suprême d’oeuvre d’art de toute une culture populaire, ordinaire, de cette Amérique profonde mais qui a triomphé sur le reste du monde. Achetée à prix d’or par des collectionneurs tout heureux de retrouver eux aussi le mauvais goût qui a bercé leur enfance. Welcome home.
Jeff Koons – la Rétrospective, jusqu’au 27 avril au Centre Pompidou, Paris IVe, centrepompidou.fr
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